Hybban et son guide avancent dans les sombres tunnels du Plateau des Ombres. Le sens des ténèbres de l'Uz lui permet de suivre les bornes de plomb qui marquent les routes souterraines. Le voyage prend plus d'une journée et avant d'arriver aux limites du plateau, le chasseur a l'occasion de découvrir quelques aspects de la vie au coeur du plateau. Son guide l'emmène assister à une partie de trollball où d'énormes Uz se lancent un pauvre trollinien en travers d'un terrain vaguement circulaire. La partie se termine par une grande fête où le slosh et les étranges alcools distillés par les Uz sont servis à profusion. Le chasseur ne fait pas grand cas de l'eau glacée mélangée à du sel mais tente plutôt sa chance avec un breuvage à base d'eau de vie d'insectes, chaleureusement recommandé par son guide. Le liquide lui décape l'estomac mais Hybban parvient à avaler le mélange en restant debout sur ses deux jambes. Les autres trolls lui lancent une grande tape dans le dos, admiratifs devant cet humainz qui boit comme un Uz.
Hybban est ensuite conduit à la surface. La végétation rase du plateau se fond dans la grisaille des rochers. Au-dessus de sa tête, un soleil voilé diffuse une lumière blafarde. Le chasseur est invité à prendre place sur le dos d'un gros scarabée volant. Après un plongeon vertigineux par dessus le rebord du plateau, Hybban est déposé, les jambes quelque peu flageolantes et l'estomac pas tout à fait en place, à l'orée de la Vallée des Bêtes. Le pilote repart dans les airs avec une dernière salutation et le chasseur se trouve enfin seul face aux arbres majestueux qui délimitent la grande forêt.
Avec précaution, presque avec révérence, Hybban pénètre sous le
couvert des bois. Les arbres qui l'entourent sont immenses. L'ensemble
de la Vallée des Bêtes est recouverte par cette gigantesque forêt
primordiale. En ces lieux, il semble que le temps n'a pas de prise et
n'en a jamais eu. L'homme n'a pas laissé sa marque et les arbres se
souviennent encore du moment où les forêts recouvraient le monde et où
seules les bêtes les parcouraient. L'eau ruisselle sur les rochers
moussus, des sources jaillissent dans les ravins rocailleux, le soleil
se joue à travers les feuilles des arbres, illuminant les sous-bois
d'une lumière dorée. Parfois, un souffle frais venu des premiers âges
du monde vient agiter les feuillages et porter aux narines le parfum
des fleurs et l'odeur de l'humus. De temps à autre, une piste animale
trace un chemin hésitant dans les fourrés. La terre meuble révèle
parfois la trace des sabots d'un satyre ou d'un centaure. La forêt
n'est jamais silencieuse. Des bruissements, des vrombissements, des
échos étranges et des chants lointains se répercutent entre les
arbres. Parfois, on entend au loin le cri rauque d'une manticore qui
part en chasse ou le rugissement d'un géant antédiluvien qui vient de
se réveiller. Il n'y a pas de chemin, pas de route, le seul moyen de
se déplacer est de suivre les pistes et sentiers laissés par les
hardes de daims ou de cerfs, par les groupes de centaures qui migrent
doucement en suivant les étoiles. Mais la nature est aussi cruelle et
la vie peut s'interrompre soudain sous les crocs d'un prédateur et les
cris de pitié ne serviront à rien. Ici, les animaux parlent et
n'aiment pas les hommes. Mais ici, également, un étrange honneur
animal règne, chacun connaît sa place dans le Grand Cycle, sous le
regard de la Déesse.
Hybban marche pendant plusieurs heures, à l'affût du moindre bruit. Il
sent la présence du Grand Ours qui marche à ses côtés et qui
l'accompagne dans cette forêt qui est son domaine. Il se sent moins
humain et son côté animal s'éveille en lui. Au détour d'un gros chêne,
dans une petite clairière arrosée par un ruisseau, le chasseur
découvre un groupe insolite en train de se reposer. Il y a là
plusieurs centaures, deux satyres et un minotaure. Après leur avoir
assuré qu'il venait en paix et avoir fait montre de son côté animal,
Hybban fraternise assez rapidement avec la petite troupe. Celle-ci est
dirigée par un grand centaure barbu, sage et honorable, qui se
présente sous le nom de Nassir. Il est armé d'une grande lance et d'un
arc et il ne fait nul doute qu'il sait s'en servir. Il dégage un air
d'autorité et semble respecté de tous ses compagnons. A ses côtés se
tient Soufflebise, un autre centaure, sauvage et plein de feu. Il a le
rire facile et est un joyeux compagnon mais c'est aussi un archer
émérite qui sait fort bien manier le javelot et connaît les secrets du
feu. Rhimmhyrr est un centaure plus calme et réfléchi. Il semble tenir
le rôle de conseiller au sein de la petite troupe et son avis est
toujours écouté avec respect. Il a une mémoire prodigieuse, une voix
profonde et parle de nombreuses langues. Il aime aussi jouer de la
harpe. Son instrument est fort ancien, en corne, avec des cordes de
cuivre. Le quatrième et dernier centaure s'appelle Ompolloh. Il est
immense et fort mais plutôt calme. C'est un chasseur émérite qui sait
sentir l'approche du chaos. Il possède des flèches à pointes
d'obsidienne et des graines elfiques. Deux satyres gambadent avec
eux. Le premier est Durecorne, cynique, violent et puant. Le second
est Ventrepatte, dodu, obsédé, jovial et curieux. Ce dernier possède
une Flûte de Pan et divers aphrodisiaques qu'il offre avec prodigalité
à ses compagnons. Enfin, la troupe est complétée par Harrumph le
minotaure, brutal et bestial.
Hybban interroge ses nouveaux amis au sujet d'un centaure nommé Hiawar car le Grand Ours a parlé de lui au moment du Temps Sacré. Ceux-ci semblent reconnaître le nom et proposent au chasseur de les accompagner s'il souhaite le rencontrer. Plusieurs jours s'écoulent à voyager vers le coeur de la Vallée des Bêtes, entre les grands arbres millénaires. Les centaures observent beaucoup Hybban et ce dernier a parfois l'impression d'être mis à l'épreuve. La chasse, la course, les luttes amicales, les soirées auprès des nymphes de la forêt, toutes les activités sont autant d'occasions pour les hommes-bêtes de prendre un peu mieux la mesure de l'étranger qui s'est aventuré sur leur territoire.
Il est difficile de tenir compte de l'écoulement du temps dans la Vallée des Bêtes et les jours se succèdent sans que personne ne prenne la peine de les compter. Une rumeur finit par parvenir aux oreilles d'Hybban et de la petite troupe qu'il accompagne. Un monstre rôderait dans ces bois, dévastant tout sur son passage. Les hommes-bêtes l'appellent le Briseur d'Arbres car il renverse ou arrache les troncs qui lui barrent la route. Les animaux le fuient et le peuple de la Vallée des Bêtes vit dans la crainte de la destruction qu'il sème autour de lui. Hybban et la troupe de Nassir décident aussitôt de pister ce monstre et de mettre un terme à ses agissements. En arrivant dans les régions de la forêt où ce dernier a été vu récemment, ils prennent la mesure de sa taille et de sa force : les arbres ont été déracinés, des troncs éclatés gisent au sol, d'énormes empreintes griffues sont profondément imprimées dans la terre. Selon Ompolloh, le monstre est chaotique. Il sent son odeur malsaine qui flotte encore dans les airs, là où il est passé. Les traces du Briseur d'Arbres se font plus fraîches et la petite troupe arrive en vue d'une clairière où le monstre semble en train de dormir. Il est immobile au milieu des arbres, recroquevillé sur lui même et la tête enfouie entre ses pattes. Il ressemble à un crocodile gigantesque, aux pattes torves et à la gueule immense. Il est grand comme une grange et haut comme deux hommes. Sa peau est grisâtre et écailleuse. Silencieusement, la lance levée, les centaures contournent le monstre pour l'encercler. Hybban saisit son arc et encoche une flèche. Tous attendent un signe de Nassir avant de se lancer à l'attaque.
Peut-être qu'une brindille a craqué sous le poids d'un sabot, peut-être est-ce le silence qui s'est fait soudain dans les bois ou peut-être qu'un sens animal a éveillé l'attention du monstre, quoi qu'il en soit, avant que Nassir n'ait pu donner le signal de l'assaut, le Briseur d'Arbres relève soudain sa tête écailleuse, fixant ses yeux jaunes sur ceux qui viennent de troubler son repos. Avec une vitesse dont Hybban ne l'aurait pas cru capable, il bondit sur ses pattes et se précipite sur le centaure le plus proche. Les autres jaillissent à leur tour dans la clairière et la mêlée s'engage. La cuirasse écailleuse du monstre est si épaisse que les javelots et les flèches rebondissent en se brisant. La lourde queue du Briseur d'Arbres fouette l'air et s'abat avec un bruit de tonnerre. Le monstre ouvre sa mâchoire, dévoilant d'énormes crocs jaunes et tente d'attraper dans sa gueule l'un de ses agresseurs. Mais les centaures sont agiles et rapides. Ils bondissent hors d'atteinte, se glissent sous les pattes du monstre et évitent les coups de battoir de sa queue.
Voyant qu'il ne parvient pas à transpercer la carapace du monstre, Hybban saisit dans son Carquois des Milles Flèches un trait enflammé. Attendant une ouverture, il se glisse vers la gueule du monstre. A cet instant, le Briseur d'Arbre ouvre à nouveau sa mâchoire pour tenter de croquer Soufflebise qui bondit à sa portée. Une bouffée d'air putride remonte des profondeurs caverneuses de sa bouche. Le chasseur ne faiblit pas et lâche sa flèche qui vient se planter, toute embrasée, au fond de la gorge du monstre. Le Briseur d'Arbres pousse un hurlement qui se répercute dans toute la forêt, faisant trembler les arbres. Tous les centaures se jettent alors sur lui dans un dernier assaut. Les lances et les javelots finissent par percer son flanc. Un sang noir s'écoule de ses plaies. Nassir s'avance et plante son javelot dans la gorge du monstre qui tombe au sol dans un dernier râle.
Pendant quelques instants, nul ne dit mot. Chacun reprend son souffle et prend peu à peu conscience que le combat est terminé. Les centaures s'avancent l'un après l'autre vers Hybban et le remercient pour son aide, admiratifs devant les prouesses dont il a fait preuve. Nassir prend alors la parole. Il explique au chasseur qu'il reconnaît maintenant sa vaillance. Il sait que ses intentions sont pures et qu'il est un ami des bêtes. Nassir révèle alors que son vrai nom est Hiawar et qu'il est donc le centaure dont Hybban a rêvé. Lui aussi a rêvé du chasseur et il savait qu'un humain devait venir dans la vallée. Hiawar propose ensuite à Hybban de l'emmener voir Nalakumen. Il s'agit d'une vouivre oracle. Profonde est sa connaissance. Elle connaît de nombreux secrets et sait lire dans les astres mais elle est également parfois dangereuse et imprévisible et ne dispense jamais ses conseils sans demander quelque chose en retour. Hybban accepte cependant d'aller rencontrer cette mystérieuse créature et la petite troupe se remet en marche vers les contreforts montagneux où elle réside.
Nalakumen habite au fond d'une grotte humide et sombre. Devant
l'entrée de sa tanière, le sol est tapissé de serpents qui glissent et
s'entrelacent. Une forte odeur de reptile monte du fond de sa caverne.
Hiawar et les centaures s'arrêtent devant l'ouverture noire qui
s'enfonce dans la montagne. Pendant un instant rien ne bouge que les
serpents qui rampent au sol et les regardent en sifflant. Puis un
frémissement se fait entendre du fond de la grotte et une tête
serpentine énorme émerge des profondeurs, suivie d'un corps luisant et
écailleux dont la fin reste dissimulée dans l'ombre. Nalakumen darde
une langue bifide et contemple un instant ses visiteurs en les fixant
de ses yeux rouges. La vouivre semble de fort mauvaise humeur. Elle
annonce que les esprits des dragons sont mécontents du sort du Briseur
d'Arbres. Il lui faut une sépulture décente car sinon il ne pourra pas
se réincarner et restera prisonnier à jamais de sa dépouille. Hybban
s'avance alors et promet de donner une sépulture au monstre. Nalakumen
se tourne vers lui et considère un instant cet humain qui a osé
s'aventurer jusque dans son domaine. Elle paraît cependant satisfaite
par sa promesse car elle accepte de lui parler. Elle sent de plus
qu'Hybban a devant lui une glorieuse destinée et l'occasion lui est
offerte d'y associer le peuple des reptiles.
Ainsi, Nalakumen indique au chasseur comment prélever certains
éléments sur le corps du Briseur d'Arbres, comment utiliser ses boyaux
pour en faire une puissante corde d'arc. La vouivre lui parle
également du Roi Inhumain, qui est sage, mais dangereux. Elle lui
parle de la malédiction des Telmoris qui furent maudits par Talor le
Guerrier Hilare, un Sorcier de l'Ouest. Les esprits et les dieux ne
peuvent rien faire contre les sorciers. ``Vous les humains, vous aimez
mettre les choses dans des catégories distinctes. Cela aide vos
esprits faibles, mais vous limite aussi.'' En échange de tout ceci,
elle demande à Hybban les différentes prophéties qu'il a entendues car
elle est avide des événements du monde extérieur et de l'avènement
prochain de la Guerre des Héros. Elle pose également des questions sur
l'étoile bleue qui se déplace dans le ciel. Hybban ne peut
malheureusement pas lui en dire beaucoup plus car il n'a écouté que
d'une oreille distraite les explications de Calliope à ce
sujet. Nalakumen semble déçue. ``Pourtant, tu me semblais lié à
elle. Hmmmm.'' Lisant dans le coeur du chasseur, la vouivre laisse
alors entendre à Hybban qu'il pourrait retrouver sa femme. Pour cela,
il lui faudra chercher les secrets des morts. ``Je peux t'en dire un
peu plus, petit humain, mais il faudra alors que tu me donnes une
goutte de ton sang et tu devras en échange boire une goutte du mien.''
C'est une proposition dangereuse et le chasseur hésite un instant mais
sa curiosité et son amour pour sa femme défunte finissent par
l'emporter sur la prudence et Hybban accepte le marché. Tous deux
échangent alors une goutte de leur sang. Nalakumen boit la perle rouge
que lui tend le chasseur et prononce d'étranges paroles
énigmatiques. ``Le chemin de gauche[1] s'ouvrira et les lignes[2] se
refermeront sur les imprudents qui ont bravé l'Interdit. La courbe
affronte la droite et les couleurs se mélangent.[3]''
Après son entrevue avec Nalakumen, Hybban repart en compagnie de Hiawar et de sa troupe. Ils se rendent auprès de la dépouille du Briseur d'Arbres et l'enterrent pour que son esprit soit libéré et puisse continuer les cycles d'incarnations de son espèce. Le chasseur doit prendre ensuite congé de ses amis et part vers l'est afin de rejoindre Boldhome où il espère retrouver les autres champions.
En quittant la Vallée des Bêtes, il pénètre alors par erreur dans
les marais des Hautes-Terres. L'endroit est brumeux et froid,
formé de mares noires et de roseaux immobiles poussant sur les
bords boueux. On dit qu'au centre vit un magicien immortel du nom
de Délecti. Rapidement, Hybban ne sait plus où il se trouve. Le
soleil a disparu derrière les nuages, les sons sont comme
étouffés. Le Grand Ours n'est plus avec lui et le chasseur se sent
bien seul. Même son ami l'aigle ne répond plus à ses appels. Il
erre durant quelques heures et la lumière finit par baisser.
D'étranges lueurs éclairent certaines mares et Hybban a parfois
l'impression d'entendre des cris aigus au loin. Mais ce n'est pas
une impression ! De nombreux bruits de pas se dirigent vers lui et
les créatures semblent même courir. L'air s'emplit de leurs
hurlements rauques et Hybban se retrouve bientôt poursuivi par un
groupe de silhouettes décharnées devant lesquelles il fuit sans
demander son reste.
La poursuite ne dure que quelques minutes : alors que les
créatures hurlantes sont sur ses talons, une voix forte avec un
étrange accent sort des roseaux et une série de petites
silhouettes en armures et casques noirs apparaît en travers du
chemin. Des Durulz ! Les petites créatures semblables à des
canards entonnent un funèbre chant de mort et se jettent sur les
morts-vivants en faisant appel à la terrible magie d'Humakt, le
Dieu Noir. Bientôt, les morts-vivants gisent à terre, découpés en
petits morceaux. Le chef des Durulz se tourne alors vers Hybban et
se présente sous le nom de Quack John Silver. Il n'aime pas trop
voir un sans-plumes errer dans les marais et propose de le
raccompagner en bordure des terres maudites. Hybban est plutôt
déconfit de devoir la vie à une bande de canards mais heureusement
ses compagnons n'en sauront jamais rien. Ramené à bon port, il
prend congé de ses sauveteurs et prend la route de Boldhome.
--- Les héros ne le savent pas pour le moment mais les paroles
énigmatiques de la vouivre font référence aux choses suivantes :
[1] Référence aux secrets des Dragonewts, qui sont gauchers. [2] Référence aux deux lignes de mort au nord et au sud de la Passe du Dragon. [3] Référence à un affrontement entre les épées droites d'Humakt et les cimeterres courbes de Yanafal Tarnils.
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