[Campagne]Ch.17: Enéric et la Reine Cheval à Plumes

Auteur: eliane_jaulmes <jaulmes_at_...>
Date: Wed, 29 Oct 2003 21:50:04 -0000

Rappel :
Présentation de la campagne :
http://fr.groups.yahoo.com/group/Glorantha_VF/message/8329 Chapitre précédent :
http://fr.groups.yahoo.com/group/Glorantha_VF/message/8953

Énéric s'installe dans une des auberges d'Alda Chur en compagnie
de son jeune frère Aldric. Ensemble ils posent quelques questions au sujet de la troupe de Cerunnos et apprennent qu'elle se trouve actuellement en ville le temps de quelques représentations. Ils se font indiquer les tentes des comédiens et se rendent sur place. Les saltimbanques leur jettent des regards suspicieux mais les deux frères finissent par trouver la tente de leur soeur Aileena. Cette dernière est stupéfaite de cette visite. Elle reconnaît à peine Énéric qu'elle croyait mort depuis fort longtemps et ne sait que penser de la présence du jeune Aldric si loin du tula des Karethis.

Lorsqu'elle apprend qu'Énéric est envoyé par leur père pour la ramener à la maison, elle entre dans une colère noire. Il est hors de question qu'elle abandonne la troupe de saltimbanques. Elle se plaît parmi eux et n'a besoin de personne pour lui dicter sa conduite. Le cavalier finit par décider que la vie de sa soeur n'est pas vraiment sa responsabilité et qu'il a accompli son devoir en transmettant le message de leur père. Il fait comprendre à Aileena qu'il n'a pas l'intention de la ramener de force et elle se radoucit aussitôt. Énéric en profite pour lui demander une faveur. Il aimerait qu'elle prenne soin du jeune Aldric car lui-même ne peut s'en occuper. Il voyage à cheval et le garçon n'a pas de monture. Après quelques instants de réflexion, la saltimbanque accepte de se charger de son petit frère. Ce dernier, déjà lassé de la compagnie d'Énéric, est ravi de cette occasion de goûter à la vie de comédien.

Se sentant enfin libre de toute entrave pour la première fois depuis fort longtemps, le cavalier ressent l'appel de la steppe en sortant du campement de la troupe de Cerunnos. Les étranges rêves des dernières nuits lui reviennent en mémoire. Ce grand guerrier, Joraz Kyree, lui a promis de fabuleux secrets en échange du sacrifice d'un poulain blanc. Il lui a également conseillé d'aller rencontrer les cavaliers des Hautes Herbes car grande est leur connaissance des chevaux et de leur magie, et leur reine est la plus sage d'entre eux.

Énéric décide donc de ne pas s'attarder en ville. Il a besoin de
galoper dans les plaines en la seule compagnie de Morigain. Dès le petit matin, il saute sur son fidèle destrier et s'élance en direction des territoires des Hautes Herbes. Les pas magiques de son cheval le portent à grande vitesse en travers de la Passe. Aucun obstacle ne semble ralentir son compagnon équestre : les rivières sont sautées d'un bond, les champs passent comme dans un rêve, les hameaux lointains ne sont que des ombres fugitives.

Après des heures de folle chevauchée, le paysage commence à changer : les arbres deviennent plus ras, les routes ne sont plus que de vagues chemins qui disparaissent bientôt complètement. L'herbe grandit et devient un océan vert ondoyant sous le soleil. Dans le lointain, la masse des Monts Toucheciel commence à émerger à l'horizon, comme un nuage d'orage. Dans la chaleur écrasante,
Énéric croise des caravanes et des esclaves dans de petites
fermes. Il a vaguement entendu parler de ces Vendrefs, les serviteurs du peuple des Hautes Herbes. Il ne tient pas à parler à ces vaincus.

Son entrée sur le territoire des Monteurs de Chevaux ne passe pas inaperçue. Des sifflements aigus montent d'une colline herbeuse et bientôt une patrouille d'hommes tout emplumés apparaît sur la crête. Ils sont montés sur des chevaux superbes, à la robe d'un bronze chaud et aux yeux dorés. Sur un ordre de leur chef, qui tend sa lance dans la direction d'Énéric, ils dévalent la pente raide en poussant des cris de guerre. On croirait voir un torrent en furie.

Le cavalier demande doucement à Morigain de ne pas bouger et supporte, impassible, la charge des guerriers. Ceux-ci encerclent le jeune homme en brandissant leurs lances et en tendant leurs arcs. Ils cessent bientôt de tourner autour de lui. Un silence pesant vient remplacer le tonnerre des sabots. Énéric voit que Morigain semble faire bonne impression auprès des membres de la patrouille. Ces derniers échangent des coups d'oeil admiratifs et dévorent sa monture du regard.

Après quelques minutes de silence, le chef finit par faire avancer son propre cheval, une superbe créature aux yeux d'or, dont les muscles roulent sous le cuir luisant. Dans une langue râpeuse qui rappelle le pentien, il lui demande : ``Tu n'es pas l'un de nous ! Connais-tu la Danse du Soleil et le pas du cheval ? Ou es-tu juste un Vendref, l'un de ceux qui vont à pied ?''

C'est donc dans la langue de Pent qu'Énéric répond. ``Ne m'insulte pas ! Je n'ai que mépris pour ceux qui n'ont pas de monture ! Je suis
Énéric le Vent Ardent, et voici mon ami, Morigain aux Sabots d'Argent,
la plus rapide des montures sous le soleil ! J'ai parlé !''

Ses paroles provoquent des murmures intrigués entre les guerriers. Le chef ne se laisse pas désarçonner pour autant. ``Ta langue est rapide et tu parles le Langage des Chevaux ! Mais nul ne saurait se vanter ainsi devant le Jardan Dorgejeï ! Ravale tes paroles ou je t'embroche sur place !'' ``Ah !'', rétorque Énéric, ``aurais-tu donc si peur de mes paroles que tu me tuerais à l'arrêt ? Relève donc mon défi et lorsque j'aurais gagné, tu me conduiras auprès de la Reine Cheval à Plumes !''

Les guerriers semblent apprécier l'audace et la langue bien pendue du jeune Pentien. Le Jardan incline la tête et agite les plumes de sa coiffe. ``Nombreux sont ceux qui veulent voir la Porteuse du Masque ! Ahoï ! Que les braves prouvent leur vitesse ! Pars donc, étranger !''

Sans plus attendre, Énéric enfonce ses talons dans les flancs de Morigain. Ce dernier bondit en avant dans un grand hennissement de défi, aussitôt suivi par les cavaliers des plaines.

Longue est la course sous le soleil et grande est la vitesse des célèbres destriers des Hautes Herbes. Mais en ce jour, les vents eux-mêmes semblent aider Morigain, si rapide est son pas. Même le plus vaillant des Yeux Dorés ne parvient pas à le rattraper. Les Enfants des Chevaux sont finalement obligés de s'avouer vaincus. C'est avec des yeux brillants et des commentaires impressionnés qu'ils finissent par montrer leur respect, si ce n'est envers le cavalier, du moins envers sa fabuleuse monture.

Entourant Énéric, il le guident durant des heures entre les collines, remontant les vallées et contournant les pics. C'est au moment où Elmal voile sa face dans le ciel, qu'ils arrivent dans une combe profonde et couverte d'herbe. Là se tient un véritable village de tentes. Dans l'air pur monte l'odeur de feux de bois, les cris des enfants et les doux hennissements des juments. De partout, ce ne sont que cavaliers armés jusqu'aux dents et femmes fières aux hautes pommettes, se déplaçant avec grâce entre les tentes de peaux. Au centre, entourée d'une rangée d'hommes debout, silencieux et immobiles, se tient une tente plus grande que les autres. Sa surface est entièrement ornée de motifs colorés.

Le Jardan Dorgejeï indique la tente à Énéric et lui explique qu'il s'agit de celle de Porteuse du Masque, l'actuelle Reine Cheval à Plumes. Cependant, il n'est pas question pour le guerrier de la voir maintenant. La reine ne reçoit personne sans interroger les esprits. Elle invite et nul n'oserait l'approcher sans son accord, car il aurait à passer les terribles Vendrefs Noirs, qui servent Hiia l'Escrimeur et sont prêts à donner leur vie pour protéger la reine. Le Jardan indique le feu des nouveaux arrivés et fait comprendre à Énéric qu'il doit dormir là et nulle part ailleurs. Le guerrier s'incline.

Durant les jours qui suivent, Énéric doit démontrer plusieurs fois sa maîtrise de l'équitation par des acrobaties et des courses. Il participe ainsi à un jeu où les cavaliers se disputent une carcasse d'animal. Ayant déjà pratiqué maintes fois cet exercice d'origine pentienne, il s'en sort avec les honneurs. Entre tous ses exploits, il ne perd pas une occasion de démontrer la vitesse exceptionnelle de Morigain et l'amitié qui les lie tous les deux.

Au soir du quatrième jour, alors qu'il commence à douter de pouvoir un jour rencontrer la reine, un guerrier à pied, habillé tout de noir, s'approche de son feu de camp. Les autres hommes s'écartent devant lui, avec un mélange de mépris et de peur, mais celui qui s'avance ne semble pas leur accorder la moindre attention. Il se présente comme le messager de Porteuse du Masque. Les exploits d'Énéric ont attiré l'attention de la reine qui désire le voir, ainsi que Morigain. Ne sachant pas bien lequel, de lui ou de son cheval, a véritablement obtenu une audience,
Énéric se prépare au mieux et brosse longuement la robe argentée
de Morigain avant de se diriger vers la grande tente centrale. Sans un mot, les guerriers noirs écartent leurs lances et le laissent passer. Soulevant le rabat, Énéric pénètre sous la tente, suivi de Morigain. Derrière lui, la paroi de cuir se referme et le silence se fait.

L'intérieur est fort sombre et il lui faut rester un moment immobile pour finir par distinguer un brasero presque éteint à l'opposé de l'entrée et de grands piliers de bois sculptés qui soutiennent la toile. L'air est terriblement chaud et il règne une odeur de musc, de cuir de cheval et d'herbes étranges comme les chaman pentiens en utilisent pour parler aux esprits. Il semble à
Énéric que depuis les profondeurs obscures, quelqu'un le dévisage.

Soudain, une voix rauque rompt le silence. ``Ainsi voilà donc le cheval merveilleux et son cavalier intrépide.'' C'est une voix de femme et Énéric sent la grande puissance de celle qui vient de s'exprimer. Énéric explique qu'il est venu jusque là pour découvrir les secrets des chevaux. Il raconte comment il est devenu l'ami de Morigain dans les lointaines plaines de Pent, après avoir été un esclave lunaire, et comment il a parlé à Dal Garian, la Mère des Chevaux du Fleuve Céleste, à la robe bleue et aux sabots recouverts de poussière d'étoiles. Il raconte aussi comment un Ancêtre lui est apparu et comment ce dernier lui a demandé le sacrifice d'un poulain blanc. Cet esprit lui a expliqué qu'ici il pourrait trouver une nouvelle part de l'histoire des chevaux. La reine acquiesce doucement.

Pendant toute la conversation, le cavalier a l'étrange impression d'être dans un rêve et, par la suite, il sera incapable de se rappeler précisément son entrevue avec Porteuse du Masque. À bien des moments, il croit voir des silhouettes féminines transparentes qui circulent dans la pièce. Leurs lèvres s'agitent mais aucun son ne sort de leur bouche. Du coin de l'oeil, il aperçoit Morigain, entouré de juments aux yeux de multiples couleurs qui échangent avec lui force caresses du museau et petits hennissements.

Quand Énéric se réveille près de son feu de camp éteint, c'est le matin et les Monteurs de Chevaux sont en train de replier leur camp. Le cavalier ne se souvient plus des paroles de la reine, mais il connaît maintenant la légende de Hyalor le Blessé et de comment les chevaux ont perdu leurs ailes, leurs crocs, leurs griffes et leur souffle enflammé en tombant dans le Monde Mortel. Il se jure de retrouver ces secrets. À ses côtés, il aperçoit un poulain blanc, certainement un cadeau laissé là par Porteuse du Masque.

Le cavalier rassemble en vitesse ses quelques affaires et repart de son côté après avoir pris congé du Jardan Dorgejeï. Il reprend la direction du nord, pour rejoindre la ville de Bout du Monde. Lorsque le soleil est au plus haut dans le ciel et que sa chaleur intense jaunit les herbes de la prairie, Énéric arrête la course de Morigain et prépare le sacrifice du poulain blanc. Il allume un grand feu et appelle le nom de Joraz Kyree. Il ouvre la gorge du jeune cheval au-dessus des flammes et celles-ci crépitent en recevant l'offrande du sang chaud. La fumée qui se dégage s'élève, portée par le vent, en dessinant un fier étalon.

Après la cérémonie, le cavalier reprend sa route. Au cours de la nuit suivante, il rêve à nouveau du Guerrier de Feu. Cette fois, l'homme est juché sur un immense cheval blanc, à la fois solide et rapide. Avec sa voix de braise, Joraz Kyree remercie Énéric pour son cadeau. Il lui souffle de partir au matin dans la direction du soleil et de galoper droit devant lui sans s'arrêter pour prendre du repos. Intrigué par les paroles mystérieuses de son rêve, le cavalier enfourche Morigain dès que les premiers rayons du soleil embrasent la plaine. Porté par le pas rapide et souple de sa monture, il chevauche ainsi durant les longues heures de la matinée. Lorsque le soleil atteint le zénith, Énéric arrive au pied d'une grande colline. Il lance Morigain à l'assaut de la pente abrupte et s'élève vers le ciel.

Du sommet, il embrasse un vaste paysage de collines et de plaines, parsemé de quelques fermes. Il aperçoit, arrivant du nord, une troupe d'une petite dizaine de cavaliers qui chevauchent à vive allure. Les hommes sont des guerriers et se tiennent en selle avec l'aisance de ceux qui passent plus de temps sur le dos d'un cheval que les deux pieds dans la boue. Cependant, ce ne sont pas des nomades des Hautes Herbes. Leurs parures et leurs armes sont différentes. À mesure qu'ils se rapprochent, Énéric reconnaît leurs vêtements et leur tenue. Même leurs tatouages et les morceaux d'os et de cuirs qui décorent leurs lances lui sont familiers. Ces hommes sont des Taïtchouts, des membres de son ancienne tribu de Pent. Les guerriers sont arrivés au pied de la colline et l'ont sûrement aperçu depuis longtemps. Ils entament à leur tour l'ascension et se tiennent bientôt devant lui, le fixant de leurs yeux noirs et scrutateurs.

Leur chef s'avance vers le cavalier et le salue selon les coutumes de Pent. Il se nomme Djaboutchin. Lui et ses hommes ont quitté leur clan et les grandes plaines de l'est car ils trouvaient le nouveau chef trop mou et trop faible. Il ne leur donnait pas les batailles et les pillages dont ils avaient besoin pour prouver chaque jour leur valeur. Alors les esprits et les vents leur ont parlé : là où va Djagataï, les fiers guerriers taïtchouts trouveront la gloire et le sang. Énéric reconnaît d'un signe de tête son nom pentien et accepte d'être appelé ainsi. Les hommes de Djaboutchin sont fiers, orgueilleux et violents. Ils offrent au cavalier de se mettre à son service mais ils lui rappellent également qu'un bon chef se doit d'être fort et cruel. Impassible, Djagataï jure de respecter ces principes et de les conduire vers la gloire et des terres à piller.

L'ensemble de la troupe reprend ainsi la route de Bout du Monde. Quelques jours plus tard, ils franchissent la ligne brillante et pénètrent dans l'Empire Lunaire. De ce côté de la frontière, la lune est toujours pleine et sa lumière rouge illumine les nuits.

Énéric et ses guerriers arrivent bientôt dans une étrange vallée
déserte où ils croisent d'antiques vestiges draconiques. Le Pentien entend alors la voix de Joraz Kyree comme un murmure à ses oreilles. Le Guerrier de Feu reconnaît les lieux et guide le cavalier jusqu'au pied d'une grande tour de pierre aux murs complètement lisses. ``Il s'agit de la Spire, conçue par les Enfants des Dragons'', lui souffle l'esprit. ``À l'intérieur et à son sommet, le temps et l'espace sont différents. Celui qui est fort peut projeter son regard au loin et apercevoir de nombreux secrets cachés.''

Énéric descend de son cheval. Au pied de la tour, se trouve une unique
porte de bois. Elle n'est pas fermée et s'ouvre d'elle-même quand il s'approche. Le Pentien se tourne vers ses hommes. ``Attendez-moi ici. Dans cette tour se trouvent des secrets mais aussi des dangers. Je dois affronter seul ce qui s'y trouve.'' Il franchit ensuite le seuil. Un unique escalier s'élève à l'intérieur. Énéric n'a d'autre choix que de monter. L'ascension de la tour semble étrangement intemporelle. Il lui semble qu'un moment il posait le pied sur la première marche et l'instant d'après, il débouche sur une petite plate-forme surplombant un paysage de collines. Portant son regard autour de lui, il se rend compte qu'il peut projeter sa vision au loin et observer des lieux pourtant fort distants. Il tourne alors les yeux en direction de Glamour. Le paysage défile devant lui de manière vertigineuse et les tours élancées de la capitale lunaire s'élèvent bientôt devant lui. Il plonge vers le palais à la recherche des appartements qu'il connaît bien et arrive dans un atrium, près d'une fontaine. Une belle jeune femme est en train de jouer de la harpe, entourée par quelques serviteurs attentifs à ses moindres désirs. Il l'observe un instant, en proie à des sentiments contradictoires.

Jar Eel semble cependant sentir sa présence car elle s'arrête de jouer et repose sa harpe d'argent. Elle lève les yeux droit vers lui et un petit sourire se dessine sur ses lèvres. ``Rien ni personne ne peut m'échapper, Énéric. Pourquoi ne viens-tu pas me rejoindre et reprendre ta place à mes côtés.'' D'un geste, elle indique les serviteurs rampant à ses pieds. Elle se lève gracieusement, fait un pas vers lui et tend une main pour l'attirer à elle. Énéric sent une force terrible qui le happe et le pousse vers elle. Il se sent basculer et, dans un dernier effort de volonté, parvient à rompre le contact. Il se retrouve pantelant au sommet de la tour. Le cavalier reprend peu à peu ses esprits et se jure à lui-même de prouver sa valeur à la terrible guerrière. Il n'est plus son esclave !

Quelque temps plus tard, le cavalier émerge à nouveau au bas de la tour. Sans un mot, il enfourche Morigain et reprend la route de Bout du Monde. Ses hommes lui emboîtent le pas en silence.

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