Le Chant de FereNeela
Alors que les Voix des Ancêtres, commencent à chanter, une
Vieille Femme
s'avance au centre de l'Assemblée et dit :
"Je suis Harla Regard-Blanc, Fille de Inge Deux-Cris, Fille de Yrsa
Pas-de-Larmes.
Je suis la Première des Trois Langues, Je suis la Voix du
Passé, Je suis les
Racines de Vidlain ! Racines Profondes, Grand Tronc."
Une seconde femme, plus jeune, au ventre rebondit, les seins nus et
lourds
de lait, s'avance au centre de l'Assemblée et vient se placer aux
côtés de
Harla. Elle dit :
"Je suis Leika Poitrine-Dorée, Fille de Harla Regard-Blanc, Fille
de Inge
Deux-Cris.
Je suis la Seconde des Trois Langues, Je suis la Voix du Présent,
Je suis le
Tronc de Vidlain !"
"Racines Profondes, Grand Tronc." interrompt Harla Regard-Blanc.
"Grand Tronc, Belles Feuilles !" renchérit Leika Poitrine-Dorée.
Une troisième femme, plus jeune encore, s'avance à son tour au
centre de
l'Assemblée et vient se placer aux côtés de Leika. Les Voix
des Ancêtres se
font murmures pour ne pas couvrir sa petite voix lorsqu'elle dit :
"Je suis Orana Premier-Sang, Fille de Leika Poitrine-Dorée, Fille
de Harla
Regard-Blanc. Je suis la Troisième des Trois Langues, Je suis la
Voix du
Futur, Je suis les Feuilles de Vidlain… "
"Racines Profondes, Grand Tronc." interrompt Harla Regard-Blanc.
"Grand Tronc, Belles Feuilles !" répond Leika Poitrine-Dorée.
"Belles Feuilles, Doux Fruits !" termine Orana.
Orana lève alors les bras et entonne :
J'ai accompli le Voyage et je suis revenue.
J'ai contemplé les Montagnes Sacrées et je suis revenue.
Je ne suis plus une enfant et vous devez écouter ma voix !
Pour symboliser ma seconde naissance, et parce qu'il s'agit
maintenant de
mon droit, je vais vous conter le FereNeela, l'histoire d'Amald Fils
d'Aran.
J'en appelle aux Racines et au Tronc, qu'Ils m'abreuvent de la
Sève et du
Sang ! Puissent les Gardiens des Six Directions s'éveiller et
tenir l'espace qui
les sépare pour mon récit ! Je demande au Seigneur des
Légendes de
m'investir de son pouvoir. Je demande à la Dame Inspiratrice de
s'installer en
moi et de partager avec moi les mots sacrés. Puisse le Don de la
Chouette
Blanche s'éveiller en moi !
Je parle du temps où la Roue du Chaos maudissait le ciel;
Du temps où Elle s'abreuva du Sang;
Du temps où les tribus furent divisées et brisées;
Du temps où les Vents Furieux furent enchaînés;
Du temps où les Voies Sauvages furent ouvertes.
Vous vous souvenez tous d'Avara, Fille de Elgan Deux-Sangs Akkelson
connu pour avoir forgé le pacte de l'Ombre-Verte avec
Ceux-Qui-Rampent-dans-les-Ténèbres, lui même fils de Kyrla
Rêve-Debout.
Vous vous souvenez tous de l'amour qui l'unissait à Amald,
Celui-Qui-Vint-de-la-Forêt.
Vous vous souvenez tous que ce dernier n'est pas né sur nos terres
mais
qu'en lui coulait le Sang car il était fils d'Aran Trois-Vœux,
lui même fils de
Jorlan Foudre-Regard, lui même fils de Heran Trois-Fois-Maudit du
sang
maintenant tari des Deux Cercles Dragons Bleus.
Vous vous souvenez tous comment, en une Année d'Epreuve d'Amour,
il
gagna le cœur d'Avara.
Vous vous souvenez tous comment il chassa pour elle le Cri-Solitaire
qui
hantait alors nos terres et ramena son Ombre; et comment elle lui en
fit un
manteau.
Vous vous souvenez tous comment il combattit pour elle
Fléau-des-Fleurs et
ramena ses Noires Antennes et comment elle lui en fit deux lances :
Soif-de-Vie et Frappe-Eclair.
Vous vous souvenez tous comment il retrouva pour elle la Dernière
Feuille et
le Dernier Gland du Evendilla et comment elle lui redonna vit : il
protège
toujours notre clan et notre Sang car en lui coule la Sève-d'Or.
Vous vous souvenez tous du jour de leur mariage, des vœux qu'ils
échangèrent et du Vent d'Espoir qui naquit lorsqu'ils unirent
leurs Souffles.
Vous vous souvenez tous des mots d'Avara :
Ne suis-je point là ?
Ne suis-je point là, moi qui suis ta femme ?
Sous ton Ombre et ta Protection.
Ne suis-je pas ta Source de Vie ?
N'es-tu pas au creux de mes bras ?
As-tu besoin d'autre chose ?
Et ce jour là, le Vent d'Espoir qui naquit, enfla et gonfla le
ventre d'Avara.
Deux saisons plus tard, Nalda Deux Visages, sur ce ventre, devait se
pencher
et s'écrier :
Deux Souffles, un Vent !
Un Vent d'Espoir, Un Vent de Peine, Un Vent d'Espoir,
Les deux jumeaux, frère et sœur, naquirent une saison plus
tard. Cette nuit là,
vous vous souvenez tous d'avoir gardé le silence. Et la nuit fut
pleine des
hurlements d'Avara Elgandotter.
Et sous le regard de Theya, lorsque les hurlements d'Avara
cessèrent et que
Nevaleesa Mains-Rouges, les yeux pleins de larmes, apporta à Amald
son
fils et sa fille, vous vous souvenez tous d'avoir gardé le
silence, lorsqu'il dit :
N'êtes-vous point là ?
N'êtes-vous point là, vous qui êtes mon Fils et ma Fille ?
Sous mon Ombre et ma Protection ?
Ne venez-vous pas de la Source de Vie ?
N'êtes-vous pas dans le creux de mes bras ?
Ai-je besoin d'autre chose ?
Ce jour là, vous vous souvenez tous d'avoir gardé le silence.
Et ce jour fut
plein des hurlements d'Amald Aranson.
La naissance des jumeaux fut accueillie comme un espoir : la
bénédiction de
la forêt était sur le clan. Et ces deux bénédictions nous
les appelâmes : Feren
Sans-Cri et Neela Reflet d'Avara. Et même si tous pleuraient
la mort d'Avara,
tous savaient qu'il en était ainsi : l'Ancienne Alliance avait son
prix !
La Forêt donne, la Forêt prend !
Et tous acceptèrent de payer le prix. Tous, sauf Amald Aranson.
Son cœur hésitait entre amour et haine, comme jadis ceux de
son Sang
avaient toujours hésité entre paix et rage. Il abandonna
l'éducation de ses
enfants au clan et s'enfonça seul dans la forêt.
Il parti et, au début, devait revenir régulièrement. Mais
plus le temps passait et
plus les enfants grandissaient, plus les visites d'Amald se
firent rares.
Certains disaient que Feren et Neela ressemblaient trop à leur
mère et que
Amald Aranson ne pouvait supporter de contempler leurs visages. Mais
tous
savaient que Amald Aranson redoutait déjà le jour où les
Deux Fruits d'Avara
lui seraient ravis par la Forêt. Car telles sont nos traditions.
La Forêt donne, la Forêt prend !
Les périodes d'absence d'Amald Aranson se firent de plus
en plus longues,
mais à chacune de ses visites, il revenait les bras chargés de
dons et de
présents pour le Clan et son Sang.
Puis, finalement, Amald ne revint plus. Les Voix des Dieux disaient
qu'il avait
été pris par la forêt et qu'il avait pour maîtresse
la Dame Sauvage.
Certains chasseurs du clan rapportaient l'avoir vu aux limites de
la Tula,
ombre furtive parmi les ombres, sous la protection des Arbres
Pères. D'autres
entendaient parfois l'Appel de son Cor : le suivre était une
promesse de
Chasse Merveilleuse.
Et c'est ainsi que naquit la légende de Amald Gors-Traqueur
Aranson.
Sa renommée de chasseur et traqueur devint légendaire, chacun
reconnaissait en lui un Fils de l'Ours comme Terre Lointaine n'en
avait pas
connu depuis des générations.
La Forêt donne, la Forêt prend !
Passent le Temps et les Saisons, onze Temps Sacrés durant, Feren
et Neela
grandirent dans l'insouciance, protégés et élevés par
le Clan. Ils étaient tous
deux inséparables et, plus le temps passait, plus ils
ressemblaient à leur
mère.
Lorsqu'ils eurent onze ans, Feren et Neela furent initiés aux
mystères du culte
des Bêtes Jumelles et s'apprêtèrent à réaliser leur
destinée.
Ce fut ce jour bénit, au crépuscule, qu'Amald Aranson
choisit de revenir
parmi les siens.
La Forêt donne, la Forêt prend !
Il argua du droit du Sang et obtint du Cercle Clanique le droit de
garder ses
enfants avec lui pendant la nuit. Cette nuit là, il tatoua sur
chacun de leurs
poignets les Cercles Dragons Bleus qui étaient la marque de sa
lignée.
Une fois marqués, ils s'adressèrent d'une seule voix
à Amald Aranson et
dirent :
Ne sommes-nous point là ?
Ne sommes-nous point là, ton Fils et ta Fille ?
Sous ton Ombre et ta Protection.
Ne sommes-nous point de la Source de Vie ?
Ne sommes-nous point là, portant la Marque de ton Sang ?
As-tu besoin d'autre chose ?
Le lendemain, Feren et Neela firent leurs adieux à leur Sang, à
leur Clan et à
leur Père. Ils s'enfoncèrent dans la forêt et entreprirent
la Quête Mythique des
Bêtes Jumelles.
La Forêt donne, la Forêt prend !
Parcourant les Gors et les Gallt. Sept années durant !
Se transformant chaque année en un nouvel animal totem. Sept
années
durant !
Donnant naissance chaque année à un nouveau et unique rejeton
femelle.
Six années durant !
Sacrifiant leur Fruit sur les Autels Sauvages et Ancestraux des Gors
et Gallt.
Six années durant !
A la fin de la septième année, alors que Feren et Neela
touchaient au but,
Neela fut incapable de mettre bas son septième rejeton. Ses
gémissements
de douleur se firent entendre pendant des jours, couverts par les
hurlements
de colère de Feren. Tous devaient se rendre à l'évidence :
leur quête avait
échoué.
La Forêt donne, la Forêt prend !
Jusque-là protégés par le clan, les deux quêteurs
étaient devenus un danger
pour la communauté. Les Flèches d'Appel de la Chasse furent
tirées,
transmissent de stead en stead, de clan en clan. Et chaque clan,
chaque
stead envoya son meilleur chasseur. Les chasseurs réunis, on leva
les
Tabous et les Interdits qui protégeaient Feren et Neela depuis
sept ans furent
levés au cours d'une cérémonie; et les chasseurs purent se
mettre en route
pour traquer et abattre les deux bêtes.
De son côté, Amald réuni autour de lui un groupe de six
jeunes chasseurs. Et,
entouré de ses compagnons, il se lança dans la traque bien
décidé à
retrouver Neela avant les autres chasseurs du clan.
La Forêt donne, la Forêt prend !
Amald fut guidé par l'amour qu'il portait à sa fille et,
accompagné de ses
compagnons, il devait la découvrir parturiente et agonisante au
fond d'une
combe.
Ni Amald ni personne, ne put rien faire pour sauver Neela. Malgré
sa peine,
Amald du se résoudre à l'achever et dans un dernier baiser,
il aspira le
dernier souffle de Neela.
Sa peine ne tarda pas à se transformer en rage, et sa rage en
haine. Il rejeta
toute la faute de la mort de Neela sur Feren, son fils, qui n'avait
pas su venir
en aide à sa soeur.
Fou de douleur et de rage, Amald reprit sa traque.
La Forêt donne, la Forêt prend !
Sept jours durant, traversant vallées et ravines, cours d'eau et
montagnes,
Amald et ses compagnons traquèrent Feren.
Sept jours durant, ils arpentèrent les Voies Sauvages sur les
traces de Feren.
Sept jours durant, ils s'enfoncèrent toujours plus profondément
dans la Forêt.
Sept jours durant! Sans prendre de repos, ni même le temps de
manger ni de
boire.
Le septième jour, Amald et ses compagnons étaient perdus. Ils
ne
reconnaissaient plus leurs terres ancestrales.
Le paysage leur était étranger, tout comme les étoiles
qu'ils distinguées dans
le ciel et les Esprit animaux qu'ils percevaient dans les
ténèbres des Grands
Arbres. Ils étaient ailleurs. Au plus profond de Vidlain,
l'Arbre Monde, la
Grande Forêt Primordiale, l'Espace Sauvage Sans Fin.
Tout au long de cette course effrénée, Feren s'était
transformé. Il n'était plus
humain. Ni animal. Peut-être quelque chose entre les deux. Une
Bête
Sauvage qui ne pouvait être vaincu par de simples hommes en ces
terres
mythiques.
La nuit du septième jour, la Dame Sauvage vint en songe à Amald
et lui
promit la victoire. Mais, en contre partie, Amald seraient
éternellement à son
service.
A l'aube tous prêtèrent serment.
La Forêt donne, la Forêt prend !
Le huitième jour Feren s'attaqua à eux, puis à son tour
profitant de leur effroi,
se mit en chasse.
Sept jours durant, un à un, il les traqua. Sept jours durant, un à un il les trouva. Sept jours durant,un à un, il les tua.
La Forêt donne, la Forêt prend !
Du lever du soleil au coucher, ils luttèrent. Et la Forêt
résonne encore du
tumulte de leur âpre combat.
Sang et Larmes !
Comme la Dame Sauvage l'avait promis, sur Feren, Amald l'emporta !
Sang et Larmes !
Comme la Dame Sauvage le lui avait demandé, sur Feren, Amald se
pencha
!
Sang et Larmes !
Et, comme la Dame Sauvage le lui avait demandé, Amald aspira son
dernier
souffle.
La Forêt donne, la Forêt prend !
Et, tout redevint calme. Du tumulte plus rien, pas même un
écho.
En Amald, les esprits de Feren et Neela s'unifièrent et devinrent
FereNeela.
Et Amald se redressa et il dit:
Deux Souffles, un Vent !
Un Vent d'Espoir, Un Vent de Peine, Un Vent d'Espoir,
Depuis ce jour, Amald Aranson et ses compagnons hantent nos
forêts. Ils
gardent les Voies Sauvages et arpentent sans relâche les Gors et
les Gallts.
Parfois, à la nuit tombée, le Cri de FereNeela retentit dans la
forêt comme
Amald souffle de son cor.
A son Appel, tous nous disons:
Ne sommes-nous point là ?
Ne sommes-nous point là,
Sous votre Ombre et votre Protection ?
Ne sommes-nous point de la Source de Vie ?
Ne sommes-nous point du Sang ?
Avons-nous besoin d'autre chose ?
Je suis Orana Premier-Sang, Fille de Leika Poitrine-Dorée, Fille
de Harla
Regard-Blanc.
Je suis la Troisième des Trois Langues, Je suis la Voix du Futur,
Je suis les
Feuilles de Vidlain…
"Belles Feuilles, Grand Tronc !" reprit Leika Poitrine-Dorée.
"Grand Tronc, Racines Profondes !" ajouta Harla Regard-Blanc.
Je suis Orana Premier-Sang et maintenant mon récit est terminé.
Fin
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