[Campagne]Ch.18: Le marais aux canards

Auteur: eliane_jaulmes <jaulmes_at_...>
Date: Wed, 05 Nov 2003 20:07:38 -0000


Rappel :
Présentation de la campagne :
http://fr.groups.yahoo.com/group/Glorantha_VF/message/8329 Chapitre précédent :
http://fr.groups.yahoo.com/group/Glorantha_VF/message/8982

Calliope, Aldharyk, Hybban, Fédarkos et leurs compagnons sont toujours sur les flancs de Kero Fin, la montagne sacrée. Ils viennent de sortir du Monde Souterrain emportant avec eux une étrange clef en forme de croix. Valdamen s'approche d'Aldharyk d'un pas hésitant et tire sur sa manche pour attirer son attention. ``Je suis bien content de voir que votre quête a été un succès, maître, mais... euh... comment dire... et pour mon sexe, maître ?''[1] Le thane tourne un regard noir vers son bouffon mais n'a pas le temps de lui répondre. Les Déesses Souterraines n'ont pas apprécié que le secret de la Mort sorte de la caverne de Ty Kora Tek. Maran Gor s'ébranle et les exilés de Tarsh réagissent aussitôt. Des tambours de guerre se font entendre dans la montagne.

Les héros regardent autour d'eux, affolés, s'apprêtant à voir surgir des hordes en furie d'un instant à l'autre. Les battements des tambours se répercutent dans toute la vallée, comme une vague rugissante renvoyée d'une paroi à l'autre. Sans même prendre le temps de se concerter, tout le monde se met à dévaler la pente du plus vite qu'il peut, en suivant les berges d'un torrent. Derrière eux les bruits de poursuite se rapprochent. L'armée démente des exilés de Tarsh est lancée à leurs trousses. Les esprits de la terre marchent à leur côté. Les rochers roulent sous leurs pas et la montagne elle-même semble s'ébranler.

Durant de longues heures, les héros dévalent les pentes rocheuses, suivis par le bruit des tambours. Le torrent qu'ils longent grossit puis finit par devenir une rivière infranchissable. Aldharyk ferme la marche. Il se retourne par moment et aperçoit les poursuivants qui gagnent du terrain. Au loin, des exilés brandissent des lances et des javelots en hurlant des malédictions. Quelques traits propulsés par magie viennent se planter en terre, à quelques pas derrière les fuyards. Sur l'autre rive, des silhouettes féminines apparaissent et maudissent les héros d'une voix rauque. Sans ralentir son pas, Hybban plonge la main dans le Carquois des Mille Flèches et envoie deux traits coup sur coup dans la direction des adeptes de Babeester Gor. L'une d'elle est fauchée en pleine course, la flèche plantée dans la gorge, tandis qu'une autre roule à terre, son bouclier arraché de ses mains. Les poursuivantes hurlent leur dépit mais ne peuvent rien faire.

Soudain Fédarkos, qui menait la tête, stoppe net sa course. La vallée s'interrompt brutalement et la rivière se déverse dans un précipice vertigineux en un rugissement assourdissant. En contrebas, les terres sont perdues dans le brouillard. C'est le début des marais nauséabonds des Hautes-Terres qui viennent lécher les pieds de Kero Fin. Les héros sont pris au piège et hésitent, incertains, au bord de l'à-pic. Aldharyk et Asvora, qui fermaient la marche, les rejoignent en criant que l'ennemi est sur eux. La Vinganne ne ralentit pas sa course. Elle appelle la magie de sa déesse et, exhortant au passage ses compagnons, elle bondit dans le vide. Encouragés par son exemple et portés eux aussi par la magie de la Guerrière Rousse, ceux-ci l'imitent à leur tour et plongent vers les eaux croupissantes des marécages. Ils ont l'impression fugitive d'être portés un instant dans un saut qui n'a pas de fin et atterrissent finalement les quatre fers dans la boue.

Loin au-dessus d'eux, Maran Gor continue de gronder et les exilés n'ont pas l'habitude d'abandonner si facilement une poursuite. Poussant des cris de rage, ils commencent à contourner la cascade. Les héros s'enfoncent donc dans les marais, quittant le territoire des adorateurs de la Terre Grondante et espérant semer leurs ennemis dans les sables mous des marécages. Tous pataugent ainsi pendant plusieurs heures, avançant péniblement sans pouvoir suivre longtemps une même direction et sans le soleil pour les guider. Peu à peu, les tambours s'estompent et ils n'entendent plus de bruits de poursuite.

Lorsque le soir commence à poindre, ils aperçoivent des constructions de roseaux semblant flotter sur les eaux. Un petit village lacustre, aux huttes rudimentaires, émerge de la brume. Les habitants sont des Durulz, le peuple canard. Ils se déplacent sur des barques à fond plat, dirigées à l'aide de longues perches. Voyant arriver les
étrangers, ils leur jettent des regards méfiants.

Après les salutations d'usage, les héros font reconnaître que leurs intentions sont pacifiques. Les canards leur apprennent qu'ils se trouvent au village de Plume-Jaune. De nombreux Durulz ici sont de grands guerriers. Des monstres mauvais vivent dans le marais et ceux qui ne savent pas se battre périssent dévorés par les morts-vivants. Le village est défendu par une petite troupe de canards humaktis. Leur chef se nomme Quack John Silver et est parti patrouiller les environs avec ses soldats. Il devrait revenir dans peu de temps.

Effectivement, au coucher du soleil, une bande de canards sanglés dans des armures de cuir noir arrive en pataugeant entre les roseaux. Ils encadrent une troupe d'humains trempés et crottés jusqu'aux oreilles. Quelle n'est pas la surprise des héros de reconnaître Ambroise, Duromal et Jabbert ! Ceux-ci sont en compagnie d'une inconnue, une jeune femme brune qui a l'air fatiguée et désemparée. Le chef des Durulz toise avec une moue réprobatrice la bande de pieds roses qui attend au village. ``Allons bon ! On n'est plus chez soi ici ! Ces marais ne sont pas une mare à canetons, vous savez. Eh, mais j'te connais, toi, le grand poilu !'', ajoute-t-il en avisant Hybban. ``Je t'ai déjà r'pêché une fois dans mon marais.'' Le chasseur marmonne quelques paroles indistinctes et ne répond pas aux regards interrogateurs de ses compagnons.

Les canards conduisent les étrangers jusqu'à une grande hutte de roseaux. Une fois seuls, les héros peuvent se raconter leurs aventures et faire les présentations des nouveaux compagnons. Fédarkos salue le sorcier en gardant un oeil méfiant et Ambroise explique dans quelles circonstances il a rencontré Gisellia Em Eel. Aldharyk réagit aussitôt en entendant le nom de la lunaire et la presse de questions. Il apprend alors que la jeune femme fait partie de la noblesse de l'Empire. Elle pratique la sorcellerie et est étudiante au grand Collège de Magie de Glamour. Augustus était l'un de ses professeurs. Il n'a donc eu aucun mal à abuser de sa crédulité et à la capturer pour s'en servir comme d'un appât dans le piège tendu à Ambroise. Elle est d'ailleurs fort reconnaissante au chirurgien de l'avoir sauvée et ne s'était jusque là absolument pas doutée de la nature maléfique de son professeur.

La pauvre étudiante semble de bonne foi et Aldharyk lui accorde le bénéfice du doute. De plus, le thane a encore en tête les paroles de Lhankor Mhy et se demande si cette Gisellia Em Eel ne pourrait pas les aider à atteindre les Enfers Lunaires. Il l'interroge donc à ce sujet. Les héros apprennent ainsi que la Mort des lunaires a pour symbole le cimeterre incurvé de Yanafal Tarnils et non pas l'épée droite d'Humakt. De plus, les Enfers Lunaires touchent beaucoup d'endroits des Autres Mondes. Par leur nature même, ils doivent donc être accessibles par maints moyens différents. Gisellia ne sait cependant pas comment se rendre là-bas. C'est un endroit dangereux et extrêmement bien gardé. Fédarkos semble fort déçu que Gisellia ne puisse leur être d'aucune utilité. Cependant, même si la jeune fille est étrangère à leur affaire et semble ne nourrir aucune mauvaise intention, les héros ne peuvent pas la laisser repartir librement. Elle risquerait de donner leurs signalements et d'alerter les autorités. Ambroise est désigné pour veiller sur elle. Le sorcier ne semble pas apprécier cette contrainte supplémentaire, déclarant n'avoir jamais appris à s'occuper d'une femme.

Le lendemain, en milieu de journée, un autre étranger arrive au village de Plume-Jaune. Quack John Silver manque de s'étrangler en voyant ainsi une fois de plus sa `paisible' vie quotidienne bouleversée. L'homme qui fend péniblement les roseaux des marécages est vêtu des pieds à la tête d'une armure de métal. Un surcot rouge tâché de boue recouvre sa maille. Sur le tissu, des armoiries sont brodées en fil de soie. Cela suffit à Ambroise pour identifier le guerrier comme un chevalier malkioni. Ce dernier s'arrache à la vase et se hisse sur le ponton de roseau dans un grand bruit de succion et un grincement de métal. Il relève la visière de son heaume et regarde autour de lui, l'air désemparé. C'est un tout jeune homme, aux cheveux blonds et au visage fin, qui dévisage avec stupeur les canards rassemblés autour de lui. Avisant Ambroise comme la seule personne `normale' de cet attroupement, il le salue cérémonieusement en faisant claquer son gantelet de métal sur sa poitrine. C'est alors que les observateurs remarquent que la maille qui recouvre le guerrier est entièrement de fer. Ce blondinet porte sur lui la rançon d'un roi et l'exhibe sans se rendre compte de sa valeur.

``Salutations, sorcier'', commence le chevalier. ``C'est sûrement Saint Gerlant lui-même qui m'a guidé jusqu'à vous en réponse à mes prières. Voilà des jours que j'erre dans cet enfer sans voir l'ombre d'un sol ferme ou d'une âme bienveillante. Je me nomme Preux et je suis en Quête.'' À ces mots, Ambroise lève les yeux au ciel et réprime une grimace. Sans s'apercevoir que son interlocuteur n'est pas impressionné comme il se doit, ni que les canards commencent à s'impatienter d'être ainsi ignorés, le jeune homme continue ses explications. ``Je suis parti du Saint Royaume de Loskalm pour accomplir la volonté de Dieu et pourfendre le Mal. Longtemps j'ai marché vers le soleil levant et ces terres maintenant me sont inconnues, peuplées de barbares et d'animaux qui parlent.'' L'un des Durulz humakti lance un ``coin'' méprisant et retentissant et bondit devant le chevalier, la main sur la poignée de son épée. Il toise l'insolent de ses yeux froids et crache à ses pieds. Interloqué, Preux jette un regard interrogateur vers Ambroise. ``Messire chevalier,'' explique le sorcier. ``Ce guerrier souhaite vous défier en duel.'' Les yeux du jeune homme s'écarquillent de stupeur. ``Je ne peux accepter. Ce serait déshonorer mon épée et Saint Gerlant lui-même que de verser le sang d'une créature sans défense.'' Un léger chuintement accompagne ces mots. L'Humakti vient de dégainer sa lame noire. ``Je vous assure qu'il y tient. Saint Gerlant vous pardonnera'', dit Ambroise avec un léger sourire amusé. ``Soit, mais ce sera alors un duel au premier sang. Je ne peux tuer un innocent qui ne se rend pas compte de ce qu'il fait.'' D'un sec hochement de tête, le Durulz indique son assentiment sur ces deux points.

L'assistance s'écarte des deux guerriers, formant un large cercle autour d'eux. Les canards regardent en silence, tandis que le chevalier rabat la visière de son heaume et dégaine son immense
épée. Pendant un instant, les deux combattants s'observent,
immobiles. Preux est le premier à briser cette transe. Il lance quelques coups d'estoc que le canard esquive avec une facilité déconcertante. Semblant prendre enfin la mesure de son adversaire, le chevalier se remet en garde. Cette fois, il tient son épée fermement dans ses mains et surveille attentivement les mouvements de l'Humakti par la mince fente de son heaume. Le Durulz feint de porter une attaque sur la droite et bondit dans les airs au moment où le lourd chevalier s'ébranle pour parer le coup. La détente prodigieuse de l'Humakti le propulse sur les épaules du chevalier. Déséquilibré par ce poids soudain, ce dernier vacille et s'écroule, entraîné par le poids de sa maille. D'un coup de pied palmé, le canard fait voler le heaume de Preux et l'instant d'après, sa lame trace une ligne rouge sur la joue pâle du chevalier vaincu.

Satisfait, l'Humakti rengaine son épée et se plante en face de la tête déconfite du Malkioni. Ce dernier se redresse péniblement, l'honneur blessé et du sang perlant sur sa joue. Il accepte cependant sa défaite avec chevalerie. Il sort un fin poignard de fer d'un étui à sa ceinture et offre l'arme au Durulz, de vaincu à vainqueur. Le canard accepte la courte lame et passe un doigt sur son tranchant effilé. Ses yeux brillent d'un éclat appréciateur et il glisse le poignard à sa ceinture. L'arme a pour lui la taille d'une épée courte. L'Humakti s'éloigne, toujours sans dire un mot, et Quack John Silver le félicite au passage d'une rude tape dans le dos. ``Bravo, Chantelame, je n'en attendais pas moins de toi.'' Ces mots semblent clore l'incident. L'attroupement se dissipe et les Durulz retournent vaquer à leurs occupations.

Finalement, seuls les héros restent aux côtés de Preux mais Ambroise semble le mépriser cordialement, Fédarkos ne pense pas moins d'un Meldek et les autres ne sont guère intéressés par sa formidable quête. Le jeune chevalier tente d'obtenir quelques informations pour poursuivre sa destinée mais les terres de l'Est ne sont guère familières aux aventuriers et il obtient surtout de nombreux conseils contradictoires. Dépité, le chevalier ramasse son heaume et s'en coiffe en murmurant ``Saint Gerlant, combien d'épreuves me faudra-t-il donc affronter avant d'arriver enfin au terme de mon voyage ?'' Preux tourne le dos au petit groupe et s'enfonce à nouveau dans les marais, vers l'Est. Soudain une petite voix s'élève de derrière Aldharyk. ``Attendez Messire !'' En quelques éclaboussements, le bouffon se glisse jusqu'au chevalier et lui murmure quelques mots à l'oreille. Ses paroles ne portent pas jusqu'aux héros rassemblés sur le ponton. Au loin, ils voient Preux secouer la tête et s'éloigner d'un air dégoûté. Valdamen revient vers eux avec un visage penaud.

En fin de journée, Quack John Silver et ses hommes viennent trouver Calliope et Aldharyk. Les Humaktis ont la mine sombre et les mains sur leurs armes. Ils ont senti chez les deux héros la présence de Mort et demandent des explications. Ces derniers se lancent donc dans le récit de leur récente quête sur les flancs de Kero Fin. Ils insistent sur le fait que leur intention n'est pas de s'emparer des Secrets des Morts pour répandre la destruction. Ils cherchent au contraire à lutter contre les lunaires qui ont emporté dans leurs enfers maudits l'âme d'un grand guerrier. Aldharyk rappelle également les mythes. Humakt n'a-t-il pas prêté Mort à son frère Tonnerre lorsque celui-ci en a eu besoin ? Les plumes des Durulz se sont hérissées à l'évocation des adorateurs de la lune rouge. Les intentions des pieds roses ne peuvent être véritablement mauvaises s'ils sont les ennemis des Mangeurs de Canards. Les guerriers se radoucissent quelque peu mais conviennent qu'il faut toutefois vérifier si les étrangers sont bien dignes de porter le Don d'Humakt. Une cérémonie aura lieu, dans cinq jours, durant la nuit du Jour du Gel, pour peser leurs paroles face au dieu noir. S'ils ont dit la vérité et si leur coeur est pur, ils auront sa bénédiction pour la suite de leur quête. Les Durulz s'apprêtent à s'en retourner sur ces mots lorsque Valdamen se précipite vers le chef. ``Dites-moi, Messire Durulz, et pour mon sexe ? Vous ne pourriez pas aussi faire quelque chose ?'' Quack John Silver foudroie l'impertinent du regard et le bouffon recule en balbutiant avant de détaler comme un lapin.

L'ensemble de la petite troupe se trouve donc l'hôte des canards pendant ces quelques jours. Fédarkos fait plus ample connaissance avec les Durulz et parvient à convaincre un fier guerrier humakti, répondant au nom de Plume-Noire, de le suivre dans ses aventures et de combattre à ses côtés. Le Lhankor Mhy a également beaucoup médité les récits de ses nouveaux compagnons et les indications dont ils disposent. Il se demande si l'heure ne serait pas venue de tenter à nouveau de contacter le Roi-Dieu. Les autres initiés lui ont raconté leurs mésaventures avec les araignées monstrueuses. Cependant, le Lhankor Mhy insiste qu'ils seront cette fois trois initiés au lieu de deux et qu'ils sont de plus avertis du danger. Peut-être que le Pharaon pourra leur donner de précieux renseignements avant que ces monstres n'interviennent. Ses arguments finissent par avoir raison des réticences de Calliope et d'Aldharyk. Au cours du Jour Divin, les trois initiés se regroupent donc en bordure du village, sous les yeux inquiets de leurs compagnons et en dépit de tous les avertissements d'Ambroise.

Ils se placent en triangle en se tenant la main et entament les chants et les prières du culte. Chacun ressent un grand vide à l'endroit où la présence rassurante du Roi-Dieu chauffe habituellement leur coeur. Cependant, une étincelle brille encore. Le Pharaon est fort loin, presque inaccessible, mais n'a pas encore totalement quitté le monde. De plus, les terres mortes qui entourent les trois adorateurs semblent provoquer une résonance avec cette présence lointaine. En ce concentrant, les initiés parviennent à aviver le souvenir du Roi-Dieu. Sa présence se renforce peu à peu et, d'un coup, les envahit. Des flammes rouges dansent devant leurs yeux et une terrible douleur déchire leur corps. Ils ont l'impression que leurs membres sont arrachés et dépecés, que leurs entrailles se répandent sur le sol. Leurs visages se crispent dans la grimace d'une agonie sans fin. Soudain, une voix s'élève par leurs trois bouches réunies, forte, profonde, impérieuse. C'est la Voix du Pharaon. ``J'entends votre appel. Fous, vous ne pouvez rien faire pour moi. N'essayez pas de me sauver. Fuyez tant qu'il en est encore temps. En ces lieux, la terrible Gardienne des Frontières règne en maître. Son royaume est défendu par ses légions de femmes-araignées.''

Du coin de l'oeil, dans leur vision envahie par les flammes, les initiés aperçoivent des créatures aux longues pattes noires et velues qui se rapprochent. Elles les encerclent. Elles sont bientôt sur eux et leurs mandibules claquent sous leur nez. D'un coup, la vision disparaît. Le contact est rompu. Les trois initiés s'écroulent dans la boue, le corps encore parcouru de douleurs qui s'estompent lentement. Lorsqu'ils se relèvent après de longues minutes, ils se regardent tous silencieusement. Ils n'ont pas besoin de paroles pour s'assurer que leur détermination à sauver leur dieu n'en est que plus forte et que rien ne saurait se mettre en travers de leur route.

De son côté, pendant les journées d'attente, Ambroise profite de la présence des marais pour rechercher des plantes médicinales en compagnie de son apprenti Duromal. Au cours de l'une de ses expéditions dans les terres marécageuses, il aperçoit dans les roseaux une étrange créature, ressemblant à un chat, qui les observe de loin. En se rapprochant, le sorcier s'aperçoit qu'il ne s'agit pas d'un animal mais d'une création mécanique. Sa fourrure est tout de bronze, ses pattes sont articulées, son visage est figé et ses yeux d'émeraude le fixent sans ciller. Intrigué, le chirurgien tente de l'attraper mais le chat mécanique s'enfuit aussitôt et disparaît dans le marais à une vitesse étonnante. Le sorcier passe le restant de la journée à guetter son retour mais n'aperçoit plus l'éclat métallique de sa fourrure dorée. Lorsque des bruits de pas se font entendre, Ambroise relève la tête avec empressement mais il ne s'agit que de Valdamen qui vient vers lui en pataugeant. Le bouffon hésite un instant avant de prendre une grande inspiration, comme s'il se jetait à l'eau. ``Dites-moi, Messire chirurgien. Je me disais... vous ne pourriez pas... faire quelque chose, avec vos outils et vos scalpels... vous savez... pour mon sexe ?'' Le bouffon lève des yeux avides et implorants vers le sorcier qui le rembarre avec un juron.

Le soir de la cérémonie à Humakt arrive enfin. Calliope et Aldharyk sont installés, nus, dans une hutte de roseau. Les Durulz ont peint à la cendre sur leur corps des runes de mort. Ils leur confient chacun une épée sur laquelle ils devront veiller toute la nuit. Les lents chants de mort et les battements des tambours accompagnent leur veillée. Au plus noir de la nuit, les deux héros sentent la présence glacée de Mort qui pulse dans leur poitrine. Les Humaktis reconnaissent les pas froids de leur dieu qui foule les roseaux. Le Dieu Noir semble accepter la présence des deux humains et l'offrande de leur épée de métal. La croix d'Humakt apparaît un instant, plus noire que la nuit, sur la poitrine de Calliope et d'Aldharyk. Puis le voile de mort s'estompe à nouveau et le ciel commence à rosir à l'horizon. Mais la bénédiction du dieu reste posée sur les deux humains et lorsque ceux-ci se lèvent et sortent, ils sentent une présence froide qui marche à leurs côtés.

Les Durulz sont satisfaits. Humakt a accepté et béni la quête des
étrangers. Maintenant, Calliope et Aldharyk portent en eux une partie
des pouvoirs de la Mort Droite. Fédarkos pense toutefois que ces derniers ne seront pas suffisants pour ouvrir les portes des Enfers Rouges. Il est probable qu'il faille plutôt maîtriser les secrets de la Mort Courbe de Yanafal Tarnils mais nul ne sait pour le moment comment se les approprier.

Il est maintenant temps de reprendre la route. Les héros rassemblent leurs affaires. Une longue marche les attend jusqu'à la ville de Bout du Monde où ils doivent retrouver Énéric. Ambroise se dirige d'un pas assuré vers la hutte de roseau pour réunir les plantes qu'il a fait sécher. Il y trouve une Gisellia rougissante et manque d'être renversé par Valdamen qui s'enfuit prestement en se tenant la joue.

[1] Le lecteur se souviendra peut-être qu'Aldharyk a empêché Valdamen de retrouver son sexe au fond du chaudron de Ty Kora Tek. La quête des héros a donc eu une conséquence fort malheureuse pour le pauvre bouffon.

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