[Campagne]Ch.19: Le Gué du Nain

Auteur: eliane_jaulmes <jaulmes_at_...>
Date: Wed, 12 Nov 2003 18:09:05 -0000

Rappel :
Présentation de la campagne :
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Le trajet le plus praticable vers Bout du Monde demande de remonter les eaux de la rivière Engizi qui se perd dans les marais des Hautes Terres. Les Durulz proposent aux héros de les conduire par barque jusqu'au Gué du Nain. À cet endroit, le fleuve est plus large et moins profond. C'est là que passent toutes les caravanes reliant Jonebourg et Bout du Monde. Une fois au gué, les héros pourront facilement se mêler au flot habituel de voyageurs.

De bon matin, l'ensemble de la petite troupe embarque donc sur les barges à fond plat des canards. Il leur faut d'abord s'extraire des eaux boueuses du marais et naviguer ensuite pendant de longues heures sur la grande rivière. Le soleil se couche donc déjà au moment où les eaux du fleuve s'étalent dans un vaste méandre peu profond. Les canards obliquent leur trajectoire et font débarquer les héros au milieu des broussailles qui bordent la rive ouest, à l'abri des regards indiscrets. Les aventuriers prennent congé de leurs hôtes, les remerciant pour leur accueil et leur aide. Les Durulz remontent sur leurs petites embarcations et disparaissent rapidement dans le jour tombant, portés par le courant.

Les héros longent ensuite la rive jusqu'au gué pour rejoindre la route. En arrivant près du passage des caravanes, ils s'aperçoivent qu'une importante troupe, venue de Jonebourg, est en train de traverser. C'est un convoi d'esclaves et de mules lourdement chargées. Un homme en habits et pourpoint de velours, juché sur un cheval, surveille la traversée en exhortant ses hommes. C'est un initié d'Étyriès, la déesse lunaire du commerce. La caravane progresse lentement dans la nuit tombante. Les esclaves, enchaînés aux pieds et aux mains, trébuchent dans le courant de l'eau glacée. Les coups de fouets des surveillants ne font qu'effrayer davantage les mules et le gué est rapidement complètement congestionné.

L'attention des héros est attirée à ce moment là par une petite compagnie d'hommes qui escortent visiblement la caravane. Ils sont montés sur des bêtes noires comme la nuit, aux dents et griffes acérées. Les cavaliers sont tous armurés et lourdement armés. Ils forment l'un des escadrons du Cheval Noir, les sombres suivants d'Ethilrist. Fédarkos en a entendu parler. Les légendes racontent que ces terribles montures sont carnivores et peuvent cracher du feu. Elles sont paraît-il également extrêmement intelligentes. Pour le moment, les cavaliers se contentent d'observer, impassibles, l'imbroglio dans les eaux du fleuve.

Au milieu du gué, une calèche aux fenêtres fermées par de lourds rideaux de velours est prise dans la cohue. Les deux superbes chevaux au poil noir lustré qui la tirent hennissent d'impatience. Le cocher tente tant bien que mal de se frayer un chemin au milieu des mules, des esclaves et des ballots renversés mais sa progression est sans cesse entravée. La voiture ouvragée qu'il conduit est de facture lunaire mais ne porte aucune armoiries.

À ce moment là, une cacophonie métallique se fait entendre sur le chemin escarpé qui conduit à la forteresse d'Isidilian le Nain. Un immense chariot aux roues de métal arrive en cahotant, tiré par d'étranges boeufs mécaniques et encadré par une vingtaine de nains. En observant les étonnants animaux à la peau de bronze poli, Ambroise se dit que le chat mécanique aperçu tantôt devait être lui aussi une création mostalie. Plus loin, une immense silhouette métallique se profile derrière les rochers en faisant trembler la terre sous ses pas. C'est un monstrueux nain de métal au pas saccadé qui ferme la marche derrière les Mostalis. Son torse bombé est formé de grandes plaques de bronze couvertes de boulons. L'un de ses bras se termine en une pince acérée, tandis que le deuxième ressemble à un gigantesque tube qui darde son oeil noir droit vers le gué. Au niveau de la tête du monstre se trouve en fait un habitacle, du haut duquel un Mostali actionne une rangée de manettes avec frénésie. Le chariot contient un immense canon aux reflets dorés sous la lumière maintenant rasante du soleil couchant. Nul doute qu'il s'agisse là d'une des légendaires arme-tonnerres des nains d'Isidilian. Cette arme est paraît-il capable d'abattre les murs de la plus solide forteresse. Sa taille énorme apporte certainement crédit à ces rumeurs.

L'imposant chariot s'immobilise au bord de la rive ouest car l'accès au fleuve est entièrement bloqué par la caravane marchande. Les nains se regroupent sur la berge et semblent se concerter pendant que l'immense géant de métal s'immobilise à quelques pas dans un grand grincement de tôle. Effrayées par le vacarme, les mules du convoi reculent au milieu du fleuve et la pagaille s'intensifie dans les eaux. Les nains apostrophent le marchand juché au sec sur son cheval, exigeant qu'il les laisse passer. Ce dernier secoue la tête d'un air péremptoire. Il entend évidemment terminer la traversée de sa caravane avant la nuit.

Les héros se rapprochent doucement de la route, intrigués par les machines mostalies, mais espérant pouvoir poursuivre leur route sans se faire remarquer. C'est alors que le Chaos s'infiltre dans le monde. Une horde répugnante de Broos, menée par un géant difforme aussi grand que le nain mécanique des Mostalis, déferle sur la rive est. L'odeur fétide de ces monstres prend à la gorge tandis que leur avancée est illuminée par le soleil couchant qui ensanglante leurs rangs. En amont, une énorme boue visqueuse se répand sur le fleuve,
étouffant les eaux et descendant vers la caravane prise au piège. Elle
tue toute vie et ronge tout ce qui se trouve sur son passage. Les gardes de l'esclavagiste lunaire se débandent en hurlant de terreur. Les malheureux prisonniers enchaînés, bloqués au milieu de la rivière, impuissants, voient s'avancer vers eux cette monstrueuse marée chaotique. Ils se débattent furieusement mais ne parviennent pas à rompre les lourds anneaux de bronze qui retiennent leurs membres. Dans l'affolement, plusieurs d'entre eux basculent dans les eaux et sont piétinés par leurs voisins. Affolés, les chevaux de la calèche lunaire qui progressait au milieu des rangs ruent et se cabrent. Le pauvre cocher tente sans succès de calmer ses bêtes. Celles-ci prennent le mors aux dents et foncent droit devant elles. Sur la rive, les derniers rangs des esclaves se font déjà massacrer sous les coups et les griffes des monstres inhumains.

Fédarkos dégaine sa lame et se rue dans le fleuve pour aider les Orlanthis prisonniers. Il tente en vain de rompre les chaînes mais les maillons sont trop solides et le gorp visqueux se rapproche inexorablement. Poussé par le désespoir, il hurle à Valdamen d'implorer son dieu pour qu'il intercède en faveur des malheureux. Saisi d'une étrange inspiration, le bouffon se lance dans une gigue endiablée. Tournoyant au bord du gué, il frappe dans ses mains et hurle à tue-tête : ``Si tu n'aimes pas être enchaîné, tape des mains.'' Un miracle se produit alors. Les chaînes se brisent au son de l'air discordant chanté par l'Eurmali et tombent en poussière. Un instant interloqués, les esclaves se ressaisissent rapidement. Certains plongent dans le courant pour échapper à la boue visqueuse qui s'étale autour d'eux pendant que d'autres tentent de rallier la berge. Beaucoup sont malheureusement affaiblis par les privations et ne peuvent fuir assez vite. Cependant, la soif de liberté agit comme un baume sur leurs plaies et un petit groupe se jette même sur leurs anciens bourreaux, leur arrachant leurs armes et les rouant de coups. Fédarkos, louant tout haut l'intervention miraculeuse du Bouffon Cosmique, se range à leurs côtés en jouant de son épée.

Au même moment, la calèche entraînée par les deux chevaux terrorisés, heurte sur le côté l'une des mules de la caravane. Pendant un instant, la voiture continue sa route en équilibre sur deux roues mais un cahot achève de la faire basculer. L'attelage s'écroule au bord du gué dans un grand fracas de bois brisé et dans le hennissement de douleur des pauvres bêtes. Les deux chevaux, entraînés dans la chute, plongent sous les eaux. Leurs ruades affolées ne font que les emprisonner d'avantage dans les rênes qui les retiennent. La porte de la calèche restée accessible s'ouvre et un homme en sort. Il est enveloppé dans une longue toge blanche qui le recouvre comme un manteau et porte un masque doré sur le visage. Sans accorder le moindre regard au désordre qui l'entoure, il saute lestement à terre et se dirige vers la berge ouest.

Pendant ce temps, l'escadron du Cheval Noir, emmené par le sorcier qui le commande, charge les monstres chaotiques. Il s'enfonce dans les rangs des Broos, semant la mort et la destruction sur son passage. Les bêtes immondes reculent sous les coups et tentent de se rallier autour du terrible géant qui les mène. Hybban décoche une pluie de traits enflammés sur le gorp qui envahit maintenant le gué. De leur côté, les Mostalis se sont regroupés en position de combat. Ils déciment les rangs ennemis à l'aide de petits bâton-tonnerres qui propulsent des traits mortels avec éclairs et fracas. L'énorme nain de métal a pivoté vers la rive opposée et lève son bras vers le Broo géant qui domine l'assaut. Dans une explosion assourdissante et un grand dégagement de fumée noire, une lourde boule de plomb jaillit du tube et vient pulvériser la tête du monstre.

Au même moment, Aldharyk bondit au milieu des eaux menacées par le gorp. Il brandit son épée en invoquant la force de loi d'Orlanth d'une voix de tonnerre. De sa Gourde Céleste, il verse une larme d'Eau Divine dans le fleuve, une touche de pureté dans le gué souillé par le Chaos. Tandis qu'il hurle des incantations dans la nuit, une lumière blanche éblouissante jaillit de la pointe de son épée. L'aura divine tombe sur ses épaules comme un manteau étincelant. Peu à peu, le cercle de clarté s'étend, repoussant au fur et à mesure l'influence chaotique. Les ombres disparaissent, les monstres reculent, l'ensemble du gué est baigné par ce halo blanc centré sur le Porteur de Loi. Les eaux d'Engizi s'enflent sous cet appel. Des vagues vengeresses se lèvent et balayent les ennemis impies. Le gorp, enflammé par les traits d'Hybban, se morcelle et disparaît sous les flots en furie. Au loin, sur la rive, les démons du Cheval Noir lancent une ultime charge. Les ennemis sont renversés sous les griffes acérées des montures et les épées mortelles des cavaliers. C'est une glorieuse bataille, menée dans le fracas des explosions et le bouillonnement des eaux d'Engizi le Titan.

Comme insensible à tout cet affrontement, l'homme qui est sorti de la calèche avance droit devant lui. Ses pieds semblent à peine s'enfoncer dans les eaux du fleuve. Plusieurs fois des coups passent en sifflant à quelques centimètres de lui. Il ne fait aucun écart et ne détourne même pas le regard. La lumière blanche tombant de l'épée d'Aldharyk illumine cette scène irréelle. Les vagues furieuses d'Engizi évitent ses pas. Le gorp le contourne. Les combattants engagés dans une lutte sans merci au milieu des eaux de la rivière ne semblent pas le voir. Miraculeusement, aucune des flèches volant dans les airs n'est venue se planter dans son manteau blanc immaculé. L'homme atteint la rive et continue sa marche, toujours en droite ligne. Il s'arrête finalement devant Calliope qui n'a pas quitté des yeux son étrange progression. Au moment où il la salue et où son masque de bronze souriant lui fait face, la philosophe sait qu'elle peut mettre un nom sur ce personnage mystérieux : Sher'k, le Mystagogue.[1]

Ce dernier ne semble guère s'étonner de croiser ici la vieille Esrolienne qui s'est enfuie il y a quelques semaines du Palais de Sartar. Il ne semble pas non plus s'en soucier. L'étrange Broo au masque de bronze a l'air d'être uniquement intéressé par un plaisant
échange de vues philosophiques. À écouter la conversation des deux
érudits, nul ne se douterait qu'ils se tiennent au bord d'une scène de
bataille et de dévastation.

Pendant ce temps, le calme est retombé sur le gué. L'armée du Chaos est vaincue. Les corps des Broos jonchent le sol. Les Mostalis replient leurs bâton-tonnerres. Le marchand lunaire apostrophe ses gardes qui se ressaisissent et tentent de rattraper les esclaves qui s'enfuient. Ces malheureux, épuisés, ne peuvent échapper longtemps à leurs geôliers qui s'approchent avec de nouvelles chaînes. Fédarkos ne peut laisser faire sans intervenir. Il s'interpose, l'épée dégainée. Incertains, les gardes jettent un regard vers le chef de la caravane, guettant de nouvelles instructions. Ce dernier, attiré par la commotion, arrive furieux. L'adorateur d'Hevduran tient bon. Il est rapidement appuyé par ses compagnons mais également, à sa grande surprise, par le sorcier du Cheval Noir. Ce dernier s'approche du marchand et lui rend son argent. ``Je n'aime pas travailler pour des couards.'', lance-t-il d'un ton méprisant. L'homme s'approche d'Aldharyk et de Fédarkos, louant la valeur dont ils ont fait preuve au cours du combat. Il leur offre même une place dans son escadron. Les deux guerriers sont obligés de décliner mais sont honorés par cette proposition.

Cependant, l'esclavagiste n'entend toujours pas laisser partir sa marchandise. Sous ses ordres, les gardes ont rassemblé une grande partie des esclaves. C'est alors que Valdamen sauve de nouveau la situation. Il interpelle une fois de plus Eurmal qui vient à son aide de manière inattendue. D'un coup, tous les esclaves se changent en lapins. L'instant d'après, les gardes ahuris se retrouvent à contempler les derrières blancs bondissants qui disparaissent dans les hautes herbes. Le bouffon s'est lui aussi transformé sous l'effet de la magie. Prenant la tête de la bande de lapins, il conduit ses troupes vers la liberté des terriers, au nez et à la barbe des gardes lunaires. Le marchand pousse un rugissement de rage et se tourne,
écarlate, vers Fédarkos qui le regarde d'un air goguenard. Ses cris et
ses imprécations n'y font cependant rien. Les esclaves ont disparu et demeurent introuvables.

Le sorcier du Cheval Noir rassemble son escadron et s'éloigne avec ses hommes. Fédarkos fait remarquer à ses compagnons que le commandant en chef de ces mercenaires, Messire Ethilrist, est connu pour être descendu dans les Enfers et en avoir ramené ces étranges montures aux griffés acérées, les Diokos.

Calliope est toujours en pleine conversation avec le Mystagogue. Elle apprend l'existence de la Lune Blanche. Il s'agit d'adorateurs de la lune qui vénèrent un aspect plus pacifique de celle-ci. Ces derniers prétendent que la Lune Rouge a fait son temps et qu'elle doit maintenant laisser la place au visage suivant de la déesse. Calliope se montre très intéressée et Sher'k lui conseille d'interroger l'un des membres de ce mouvement si elle souhaite en savoir plus. Il lui recommande d'aller parler à un dénommé Selmius, professeur à l'académie de Bout du Monde.

La vieille philosophe ne tarde pas à être rejointe par ses compagnons qui ne souhaitent pas s'attarder sur les lieux. Des patrouilles lunaires vont certainement affluer rapidement dans la région. Fédarkos, très véhément, menace même de plonger son épée dans le ventre de l'esclavagiste pour lui enlever toute envie de parler des
événements qui viennent de se dérouler. Calliope refuse de cautionner
un tel acte et la petite troupe s'éloigne finalement dans la nuit, laissant derrière elle un esclavagiste lunaire furieux et les décombres de sa caravane.

Les héros marchent pendant quelques heures avant de s'arrêter pour prendre un peu de repos. Profitant du sommeil de la philosophe, les guerriers du groupe rebroussent chemin. Ils trouvent le campement du marchand à mi-chemin du gué et tuent l'esclavagiste ainsi que le reste de ses gardes, afin que nul ne puisse raconter les événements du gué. Ils ne voient cependant aucune trace du Mystagogue qui semble s'être évanoui dans la nature et sont contraints d'abandonner les recherches. Ils sont de retour au petit matin et taisent leur sombre besogne de la nuit.

Valdamen réapparaît à ce moment-là, sous forme humaine, un grand sourire sur les lèvres. ``Qu'y a-t-il donc ?'', demande Aldharyk en fronçant les sourcils, rendu suspicieux par cette accès de bonne humeur. ``J'ai demandé aux lapins. Et ils m'ont écouté, eux.'' Le bouffon s'éloigne en sautillant, l'air satisfait.[2]

Les héros reprennent ainsi la route de Bout du Monde. Ils s'interrogent sur la coïncidence de l'impressionnante attaque des forces chaotiques de la veille avec leur passage. Leurs doutes sont renforcés lorsqu'à un moment Ambroise sort l'Orbe de l'Ultime Recours et y plonge son regard. La boule habituellement opaque rayonne d'une lumière carmine. Au même moment, un éclat rougeoyant inquiétant illumine les montagnes dans la direction du Creux de la Flûte-Serpent. Brusquement, les héros sentent l'attention de quelque chose qui s'éveille, qui cherche. Calliope secoue le sorcier pour briser sa transe et le somme de ne plus toucher à l'Orbe. La lumière disparaît et la paix retombe sur leurs coeurs.

[1] Voir Chapitre 13 : Au palais du roi de Sartar, message n°8828 : http://fr.groups.yahoo.com/group/Glorantha_VF/message/8828

[2] Le lecteur compatissant se réjouira que Valdamen ait finalement retrouvé son précieux appendice qui lui faisait cruellement défaut depuis les monts de Kero Fin.

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