[Campagne]Ch.22: La Mort courbe

Auteur: eliane_jaulmes <jaulmes_at_...>
Date: Wed, 03 Dec 2003 19:35:32 -0000

Rappel :
Présentation de la campagne :
http://fr.groups.yahoo.com/group/Glorantha_VF/message/8329 Chapitre précédent :
http://fr.groups.yahoo.com/group/Glorantha_VF/message/9089

Pendant qu'Ambroise et Énéric s'éloignent de la ville avec les cavaliers pentiens, Hybban se glisse lui aussi dans la nuit. Il fuit l'agitation humaine de la grande cité pour courir dans les bois qui s'étendent au sud de Bout du Monde. Sa femme le rejoint et trottine à ses côtés. Elle avait refusé de le suivre jusque dans les maisons des hommes et était restée en dehors de la ville. Le chasseur est préoccupé car son épouse est toujours prisonnière de son corps de louve. Il est temps d'interroger les esprits à ce sujet et de quémander une part de leur sagesse. Hybban porte la main à son cou où pend le Collier du Loup et murmure une prière à chaque croc jauni accroché au lacet de cuir. Des hurlements s'élèvent dans la nuit. Les loups sentent les esprits s'éveiller. Des yeux jaunes brillent soudain dans les sous-bois ténébreux. ``Que nous veux-tu, homme-ours ? Pourquoi nous appelles-tu ?'' demandent à l'unisson les voix grondantes des esprits. Le chasseur frémit en sentant ces présences menaçantes qui le fixent. Sa voix reste cependant forte et assurée lorsqu'il répond ``Voyez Queue d'Argent, ma femme. Elle fait partie du peuple mi-homme, mi-loup et pourtant sa moitié humaine est maintenant prisonnière du corps de loup. Savez-vous comment la libérer de cette malédiction ?'' Les bêtes se rapprochent sans bruit et viennent humer l'odeur de Queue d'Argent. Au bout de quelque temps, les loups tournent de nouveau leurs yeux vers le chasseur. ``Hmm, et c'est à nous que tu t'adresses pour cela ? Soit, puisque tu demandes aux loups, tu recevras une réponse de loup. Ta compagne a oublié la forme et la saveur du corps des humains. Si tu veux l'aider à se souvenir, tu dois lui faire boire du sang de femme.'' Ayant dit cela, les esprits du collier refluent vers les sous-bois et disparaissent dans les ombres.

Le soleil est déjà bien haut au-dessus de Bout du Monde, lorsque le chasseur quitte Queue d'Argent et retourne vers les murailles des hommes. Une grande agitation règne à l'extérieur de la ville. Les armées sont en train de lever le camp. Plusieurs bataillons sont déjà en marche vers le sud. Seule l'Armée du Lendemain semble échapper à ces préparatifs de départ. En se rapprochant, le chasseur constate
également qu'un grand enclos a été installé à l'écart de la ville. De
nombreux chevaux y sont déjà parqués et d'autres sont en train d'y être conduits. Demain aura lieu la grande cérémonie à Yara Aranis, la dévoreuse de chevaux, et tous les propriétaires sont engagés à conduire leurs bêtes hors des murailles. Il ne devra rester à l'intérieur des murs que les étalons prévus pour le grand sacrifice.

Hybban s'enfonce dans les rues de Bout du Monde. À l'auberge, il trouve Calliope et Fédarkos fort inquiets. Les deux savants ont voulu se rendre au matin à la maison de l'ordre de Saint Bernard mais des gardes lunaires ceinturaient la bâtisse. Dans la rue, les rumeurs parlaient de monstres, de combats, de morts, de prisonniers. Impossible de savoir ce qu'il a pu advenir d'Ambroise. Ils sont ensuite sortis de la ville pour chercher Énéric et celui-ci avait disparu. Les cavaliers pentiens ont apparemment levé le camp durant la nuit. Calliope refuse de croire que son neveu les a abandonnés. Il doit y avoir une explication à ce départ précipité. Faute de piste de recherche, les trois compagnons décident de se rendre à l'auberge d'Aldharyk pour l'avertir de la situation. En chemin, Hybban raconte à Calliope ses aventures de la nuit et la réponse proposée par les esprits des loups. La vieille philosophe secoue la tête. ``Quelle drôle d'idée d'aller poser la question à des loups. Que savent-ils de la nature des hommes ? Boire du sang de femme ! Quelle idée ! Je vais te donner mon conseil, jeune chasseur, puis tu décideras ce qui est le mieux pour ton épouse. Je pense qu'il faut plutôt lui faire boire du lait de femme, car notre nature n'est pas de prendre la vie mais de la donner.'' Hybban hoche la tête et médite les deux conseils contradictoires qu'il a obtenus.

Pendant ce temps, à l'extérieur de la ville, après l'interrogatoire du Krarshti, Ambroise s'est plongé dans une étude approfondie du corps de Félicien. Il est encore penché sur ses scalpels lorsqu'une exclamation pentienne lui fait lever la tête. Deux silhouettes sont en train d'approcher du petit campement. Elles avancent en droite ligne, comme si elles savaient parfaitement où trouver les fugitifs dissimulés. Ambroise bondit sur ses pieds et Énéric se porte à ses côtés. Tous deux ouvrent de grands yeux étonnés, n'osant croire ce qu'ils voient. Les deux arrivants sont des Dragonewts. Le chirurgien et le cavalier les reconnaissent immédiatement. L'un est petit, vert et marche légèrement courbé. L'autre est grand, noir, martial, sûr de lui. Les cavaliers se sont regroupés auprès de leur chef, la main sur leurs armes, mais Énéric leur fait signe de laisser passer les nouveaux venus.

Les Dragonewts avancent au travers des rangs des Pentiens qui les regardent d'un air méfiant et viennent s'arrêter aux pieds d'Ambroise. Le petit vert tend un doigt griffu vers la bourse de l'Orbe suspendue à la ceinture du sorcier. Il darde sa langue bleue, aux deux extrémités liées par un lacet de cuir, et tente d'articuler quelques sons en Sartarite. Ambroise reconnaît une fois de plus le mot `oeuf', qui semble au coeur des préoccupations des deux étranges créatures. Il parvient à démêler, au milieu de leurs explications hésitantes, que l'Orbe doit être couvé pour éclore. Intrigué, le sorcier demande aux Dragonewts ce qu'il doit faire précisément. Le petit vert semble heureux d'avoir enfin réussi à communiquer. Il sautille d'un pied sur l'autre et pointe une griffe vers le ciel. ``Lune !''. Ambroise et Énéric échangent un coup d'oeil incertain. ``Euh, vous voulez dire que je dois emmener cet...oeuf sur la lune pour le couver ? Et ensuite il pourra éclore ?'' Le petit vert sautille de plus belle en tournant autour d'Ambroise. ``Lune !'', répète-t-il vigoureusement. Puis il s'arrête brutalement et pointe une griffe vers son compagnon, vers lui puis vers Ambroise. ``Grand Zrachssss... petit Sleslsssh... oeuf... lune... ensemble.'' Puis, apparemment épuisé par cette longue conversation, il s'assoit aux pieds d'Ambroise. Le grand noir l'imite aussitôt.

Pendant tout le reste de la matinée, les deux créatures suivent le sorcier dans chacun de ses pas autour du campement, s'asseyant à ses pieds lorsqu'il s'arrête. Ambroise a beau tempêter, leur expliquer qu'il n'a pas l'intention de partir pour la lune, rien n'y fait. Les deux Dragonewts ont décidé de ne pas le lâcher d'une semelle. Excédé par ce cirque, Énéric s'approche finalement d'eux avec un air menaçant, la main sur l'épée. Le grand noir se dresse aussitôt devant lui et pousse un sifflement de mauvais augure. Sa poitrine se gonfle et des écailles pointues se déploient sur son dos. Énéric fixe la créature sans ciller mais le petit vert se pend au bras de son compagnon en agitant la langue. Puis il attrape une gourde de pierre ponce à sa ceinture et la tend au cavalier. Celui-ci hésite un instant puis attrape l'objet. Le noir le regarde faire sans bouger. La gourde est fermée par un bouchon de liège et est légèrement chaude au toucher. Énéric entend à ses oreilles, de manière lointaine, la voix de Joraz Kyree, le guerrier de feu. Il n'arrive pas à saisir ses paroles mais sent que l'attention du grand cavalier vient de s'éveiller. Énéric ouvre la flasque de pierre. Elle contient un
étrange liquide jaune-orange vif à l'odeur de soufre. Plissant le nez,
le jeune guerrier relève la tête vers le Dragonewt. Celui-ci s'est rapproché de lui et le regarde avec ses petits yeux verts. Il fait signe au cavalier de boire une gorgée. Intrigué, Ambroise s'est approché également. Énéric lève un regard interrogateur vers le chirurgien puis hausse les épaules et porte la gourde à ses lèvres.

Le liquide coule dans sa gorge avec une intense sensation de chaleur, comme s'il buvait des épices longtemps macérées. Il manque de s'étrangler, la bouche en feu, mais entend, cette fois plus proche, la voix de Joraz Kyree. ``Ah ! Les anciens secret de l'eau de feu. Laisse-moi te guider.'' Énéric perçoit une chaleur qui s'intensifie dans son ventre. Sans trop comprendre comment, il sent son corps qui réagit à la présence de ce feu intérieur. Il se contracte et ouvre la bouche, comme pour cracher, mais c'est un jet de flammes brûlantes qui jaillit de ses lèvres. Les Pentiens ouvrent des yeux stupéfaits et lancent une prière à Kargzant devant un tel miracle. Admiratif devant ce prodige, Ambroise attrape la gourde dans la main d'Énéric et boit à son tour une gorgée. Le liquide orangé lui brûle affreusement la bouche et l'estomac et le chirurgien se retrouve plié en deux, bavant et crachant. Énéric lui donne une grande tape dans le dos et récupère la gourde. Le Dragonewt ne fait aucun geste pour l'en empêcher et le cavalier décide de garder le liquide de feu.

Au même instant, en ville, Calliope, Fédarkos et Hybban marchent à grands pas en direction de l'auberge d'Aldharyk. L'établissement dans lequel loge le thane est situé dans les beaux quartiers. Les rues sont bordées de palais de marbre et de temples richement décorés. Le tenancier de l'établissement est un homme discret qui a l'habitude de ne pas s'interroger sur les moeurs de ses clients. Il ne peut cependant s'empêcher de hausser un sourcil en voyant passer un érudit barbu sûr de lui, une vieille femme courbée sous son châle et un chasseur velu et puant, des brindilles de la forêt encore accrochées dans sa barbe rebelle. L'aubergiste baisse la tête et continue d'essuyer la chope qu'il tient dans ses mains. Les perversions de son locataire ne sont pas son problème.

Aldharyk est fort troublé de la disparition d'Ambroise et d'Énéric. Il n'a pas plus de nouvelles que ses compagnons mais espère qu'ils ont pu
échapper ensemble aux événements mystérieux qui semblent s'être
déroulés à la maison de l'ordre de Saint Bernard. Tous étudient un moment les diverses solutions qui s'offrent à eux. Ils conviennent finalement qu'il faut absolument tirer Lyndia, Jorgen et la vieille initiée des griffes des lunaires, avant la grande cérémonie à Yara Aranis. Cela veut dire qu'il faut agir ce soir ou cette nuit. Les discussions sur la manière d'opérer battent leur plein au moment où quelqu'un frappe à la porte. Énéric et Ambroise se tiennent sur le seuil. Le sorcier est enveloppé dans un grand manteau, la capuche rabattue sur le visage pour ne pas être reconnu. En quelques phrases rapides, ils racontent à leurs compagnons les événements de la veille.

Rassurés sur le sort de leurs amis, les héros se replongent dans l'épineux problème de la libération des citoyens du Pays Saint. Il s'ensuit une grande cogitation animée au cours de laquelle personne ne semble être d'accord avec son voisin. Beaucoup de plans sont mis en avant pour délivrer qui les animaux, qui les esclaves, qui la fille de Calliope, qui les membres du Pays Saint. Ils envisagent tour à tour de louer des mercenaires, de voler un Bateau-Lune ou de libérer les animaux dans les rues de la ville pour faire diversion. Aucune décision n'est prise. Le plan est de toute façon à repenser entièrement quand un Plume-Noire essoufflé débouche en trombe dans la chambre d'Aldharyk. Quatre des prisonniers du cirque viennent d'être transférés sous bonne garde jusqu'au lunoport. D'après les descriptions du Durulz, il s'agit de Lyndia, Jorgen, la vieille initiée et un homme qu'ils ne connaissent pas. À ces mots, tout le monde s'affole. Et si les prisonniers étaient emportés au loin à cet instant même ? Plume-Noire les rassure cependant : aucune activité particulière n'a suivi l'arrivée des prisonniers. Apparemment, ils ne devraient pas partir tout de suite.

Il reste juste cette après-midi et cette nuit pour préparer un assaut sur le lunoport et faire évader les quatre prisonniers. La tension monte avec le temps qui s'écoule. Énéric prône une action rapide et efficace, suivie d'une fuite à cheval ; Fédarkos rêve d'embarquer sur un Bateau-Lune au nez et à la barbe des lunaires ; Hybban aimerait empêcher le sacrifice des animaux du cirque ; Aldharyk ne veut pas abandonner les Orlanthis au sort terrible qui les attend ; Ambroise conseille avant tout la prudence ; et Calliope tente d'expliquer à son neveu qu'elle ne se voit pas fuir dans la nuit sur un cheval au galop. La plus totale confusion règne parmi les héros qui ne semblent pas parvenir à s'entendre.

Pris d'une soudaine inspiration, Aldharyk demande à Énéric de lui montrer le pendentif d'argent trouvé sur le corps d'Augustus. Le cavalier le sort avec une certaine réticence. Depuis quelque temps, il considère que tout ce qui touche de près ou de loin à Jar Eel le concerne personnellement. Le thane tourne et retourne le médaillon, observant de plus près la fine gravure. Il ressent de légers picotements au bout de ses doigts et a l'impression confuse que la magie de la Mort est liée au bijou. Guidé par son propre contact avec la bénédiction d'Humakt, Aldharyk dégaine son arme. Tenant le sabre d'argent à bout de bras, il approche la lame de son épée pour en toucher le pendentif. Au même moment, inquiet des intentions du thane, Énéric saisit la première arme qui lui tombe sous la main et s'élance pour bloquer le geste de son compagnon. Il n'est pas assez rapide. Les deux lames s'entrechoquent au moment même où l'épée d'Aldharyk touche le sabre d'argent. Au contact des trois armes, une intense énergie magique se dégage brutalement. Des rayons de lumière rouge et argentée jaillissent des épées jointes et illuminent la pièce. Un visage phosphorescent se forme autour du médaillon. Ses traits sont déformés et torturés mais Ambroise reconnaît Augustus. La bouche du Thanatari se crispe dans un rictus silencieux. Son visage se brouille et se tord. Du sang se met à couler des lames réunies, provenant de nulle part et tombant sur le plancher avec un léger grésillement. Énéric et Ambroise tentent de retirer leurs armes mais elles semblent collées par une force prodigieuse. Observant la scène à travers l'oeil omniscient de Lhankor Mhy, Fédarkos se rend compte que deux Morts entrelacées sont en train de se livrer combat : la mort droite et bien connue d'Humakt et la mort courbe et mystérieuse de Yanafal Tarnils. Un froid glacial se met à envahir la pièce, qui serre le coeur et souffle toute pensée joyeuse. Il leur semble entendre des bruits lointains d'épées qui s'entrechoquent et des choeurs de voix sépulcrales. Puis le visage d'Augustus achève de se déformer et s'estompe dans un tourbillon de lumière rouge. Brutalement, l'éclat carmin disparaît. La force qui maintenait les armes se dissipe et les deux guerriers, surpris par ce brusque relâchement, vont rouler au sol. Le pendentif vole en éclats avec un tintement cristallin.

Énéric est le premier à se remettre sur ses pieds. Aldharyk se redresse à son tour, étreignant toujours son épée Sentence. Il est pâle et semble grelotter de froid. De la vapeur glacée s'échappe de sa bouche. Le sang reflue de son visage. Ses doigts bleutés sont crispés sur la poignée de son arme. Asvora est la première à réagir. La Vinganne bondit, la lance en avant, et fait sauter l'épée des mains d'Aldharyk. La hampe se brise au contact de l'arme mais le coup est suffisant pour faire lâcher prise au thane. Sentence tombe sur le plancher et le bois se met aussitôt à noircir et à pourrir au contact du métal. Libéré de l'étreinte de Mort, Aldharyk reprend lentement des couleurs. Asvora et Ambroise entourent la lame maudite, empêchant quiconque d'approcher.

Le plancher se désagrège à vue d'oeil et l'épée risque de bientôt passer au travers du bois. Appelant à elle la clairvoyance de sa déesse, Calliope réfléchit à toute vitesse. Les deux Morts, droite et courbe, semblent avoir investi l'épée d'Aldharyk. Elles luttent l'une contre l'autre, cherchant à s'annihiler mutuellement. La vieille philosophe comprend pourtant qu'elles ne sont que deux facettes d'une même réalité. À l'aide de sa propre connaissance de la magie d'Humakt et des enseignements de Lynkha, elle pense pouvoir concilier les deux Morts ennemies. Il lui faut pour cela toucher la lame maudite mais Ambroise, Asvora et Énéric ne veulent pas en entendre parler. Tous trois craignent pour la vie de la vieille Esrolienne. Fédarkos et Aldharyk se rangent au côté de la philosophe, confiants dans sa sagesse. Ils tentent de convaincre leurs compagnons tandis que l'épée continue de ronger le bois sur lequel elle repose. Il ne reste que peu de temps. Bientôt l'arme traversera le plancher et chutera dans la salle de l'auberge. Calliope ordonne à son neveu de la laisser passer. Elle rappelle à tous qu'elle suit un Dieu de Connaissance et qu'elle sait ce qu'elle fait. Énéric s'écarte à contre coeur, imité par Ambroise et Asvora. La vieille philosophe s'approche de Sentence. Aldharyk la rejoint, prêt à l'aider avec sa propre magie. Calliope pose délicatement un doigt sur la lame et sent aussitôt le froid mordant qui envahit son bras. Les deux Morts entrelacées tentent de l'entraîner dans leur affrontement glacé mais la philosophe parvient à se glisser en leur sein. La magie de Lynkha se répand dans la lame. Droite et courbe cessent peu à peu leur lutte et chacune vient se trouver une nouvelle place. L'équilibre s'installe et le froid reflue. Calliope et Aldharyk se redressent. L'épée a cessé de ronger le plancher et Fédarkos se rend compte, avec l'oeil de Lhankor Mhy, que ses deux compagnons portent maintenant en eux non plus une mais deux Morts, unies et entrelacées.

Vexé et blessé dans son amour-propre, Énéric ouvre violemment la porte de la chambre d'Aldharyk et dévale les escaliers, sans dire un mot. Ambroise hésite un instant puis lui emboîte le pas. Le calme retombe dans la pièce. Aldharyk ramasse son arme et l'examine attentivement. Aucune trace ne trahit l'affrontement magique qui s'est déroulé en son sein. Cependant, les deux héros sentent qu'ils viennent d'accomplir un pas décisif dans leur quête. Ils maîtrisent maintenant les secrets des deux Morts et cette nouvelle magie sera sans nul doute la clef qui leur ouvrira les portes des Enfers Lunaires.

Les héros se remettent à leur plan d'action. L'attaque sera lancée cette nuit sur le lunoport. Ils tenteront de libérer les prisonniers et s'enfuiront ensuite dans l'un des Bateaux-Lune. Les deux gros navires marchands sont rapidement écartés. Le Ménénékos est à la fois plus petit et plus rapide, exactement ce qu'il faut pour leur fuite. Fédarkos, qui a navigué sur de nombreux vaisseaux, pense être capable de diriger cette étrange embarcation. Les gardes du lunoport sont une vingtaine. Il y aura peut-être également des hommes supplémentaires près des prisonniers. Le combat s'annonce

difficile. Aldharyk suggère d'empoisonner la garnison avant
l'attaque. Valdamen se propose aussitôt pour concocter une mixture
infernale. Il connaît une recette propre à faire se vider les boyaux
de tous ceux qui la consommeront. Les soldats se battront tout de suite moins bien avec le pantalon sur les chevilles ! Fédarkos émet cependant quelques doutes sur la sagesse de faire reposer tout un plan d'assaut sur les affirmations d'un Eurmali et propose, afin de doubler les chances, de partir en quête d'un alchimiste ou d'une herboriste capable de fournir une telle substance.

Valdamen a besoin d'utiliser les cuisines pour fabriquer sa mixture. Les réserves du tenancier sont vaincues par quelques pièces brillantes qui changent prestement de main. Pendant que l'Eurmali s'affaire au-dessus des chaudrons de l'aubergiste, Fédarkos arpente les bas quartiers de Bout du Monde. En milieu d'après-midi, sage et bouffon se retrouvent en possession d'une substance propre à leur assurer une victoire facile lors de l'attaque. Il ne reste plus qu'à trouver le moyen de verser ces potions dans la soupe des gardes. Asvora propose de se charger de cette tâche. Avec la magie de sa déesse, elle pourra se glisser derrière les palissades et jusqu'aux cuisines.

À cet instant, Jabbert se présente à la porte d'Aldharyk, envoyé par Ambroise. Il informe tout le monde que le chirurgien et le cavalier prévoient de monter un raid sur la ville à la tombée de la nuit. Ils comptent libérer les chevaux du grand enclos extérieur et diriger ce troupeau déchaîné jusque dans le camp militaire de l'Armée du Lendemain, la seule troupe à n'être pas encore partie. Pendant le désordre et l'affolement qui s'en suivra, Énéric ira libérer les chevaux devant être sacrifiés à Yara Aranis et Ambroise galopera jusqu'à la maison de son ordre pour libérer ses coreligionnaires. Les héros décident de synchroniser leurs assauts pour assurer le maximum de confusion parmi les lunaires. Hybban choisit de se joindre aux efforts d'Énéric. Peut-être aura-t-il également l'opportunité de libérer les animaux du cirque.

En fin de journée, Aldharyk, Fédarkos, Calliope et Hybban sortent de Bout du Monde tous ensemble. Ils ont rassemblé leurs affaires et fourbi leurs armes. Prenant la route du sud comme s'ils quittaient la ville, ils contournent une colline et reviennent ensuite en longeant les bois. Asvora emporte les deux décoctions et se faufile de buisson en buisson jusqu'à la palissade du lunoport. Dans le jour tombant, il est difficile de la distinguer et les héros la perdent rapidement de vue. Il ne leur reste plus qu'à attendre, le coeur battant. Une demi-heure plus tard, une silhouette noire se dresse d'un coup non loin de leur cachette. La Vinganne a accompli sa mission avec succès. Elle a pu se faufiler dans le lunoport à travers une faille mal réparée de la palissade. Elle a trouvé les cuisines sans trop de difficultés et a déversé les potions dans le chaudron en train de mijoter. Il ne reste plus qu'à attendre que les potions infernales fassent effet.

À ce moment, Calliope et Aldharyk ressentent soudain une forte présence pharaonique. Des initiés du Roi-Dieu sont tout proches, à quelques lieues dans les bois, et se dirigent vers Bout du Monde. S'agit-il d'autres prisonniers conduits de force pour être emportés vers Glamour ? Sont-ils des initiés fous se précipitant vers le coeur de l'Empire en réponse à l'appel de la lune ? Il n'y a qu'un moyen de le savoir. N'osant quitter leur poste de surveillance, Calliope et Aldharyk demandent à Hybban de se faufiler dans la forêt jusqu'aux mystérieux arrivants pour les observer.

Cette archive a été créée par hypermail