[Campagne]Ch.25: La Lune Blanche

Auteur: eliane_jaulmes <jaulmes_at_...>
Date: Wed, 24 Dec 2003 13:21:24 -0000


Rappel :
Présentation de la campagne :
http://fr.groups.yahoo.com/group/Glorantha_VF/message/8329 Chapitre précédent :
http://fr.groups.yahoo.com/group/Glorantha_VF/message/9182

Les héros se retrouvent donc rassemblés à plusieurs lieues de Bout du Monde, en plein coeur de la forêt, non loin d'antiques ruines qui évoquent à Ambroise des constructions Dragonewts. L'équipage du Ménénékos semble être entièrement dévoué aux héros légendaires qu'ils viennent de croiser dans le Monde Mortel. Ils reconnaissent
également le grand cavalier En-Hérik. Pour eux il n'y a qu'une
explication possible à ce miracle : l'avènement de la Guerre des Héros est proche. Les compagnons disposent ainsi d'un des mythiques Bateaux-Lune, les navires secrets de l'Empire, capables de naviguer dans les étoiles. Ils possèdent également maintenant la clé courbe qui leur ouvrira les portes des Enfers Lunaires. Il ne reste plus qu'à suivre les conseils de Lhankor Mhy et tenter de naviguer sur le Fleuve Céleste dans l'espoir d'y trouver l'entrée de cet endroit maudit.

La troupe d'Ernaldana ne restera pas avec eux. Les Esroliens ont libéré les prisonniers, comme ils se l'étaient promis. Leur mission accomplie, il leur faut maintenant reprendre la route de l'Esrolie. Lyndia, Jorgen et l'un des initiés délivré les accompagneront. La quête d'Aldharyk, Énéric, Fédarkos, Hybban, Ambroise et Calliope leur semble une folle entreprise mais porte cependant les espoirs du Pays Saint. Leurs prières les accompagneront. Quant à la vieille femme qui a appelé par la Voix du Pharaon dans la rue de Bout du Monde, elle décide de se joindre aux efforts des héros. Son nom est Mycénia et elle sent que sa destinée est de s'embarquer elle aussi dans la quête de l'âme du Pharaon.

Dans la matinée, la petite troupe esrolienne prend donc congé du groupe. Calliope et sa fille doivent de nouveau se séparer. Elles espèrent cependant toutes deux que des temps meilleurs viendront et qu'elles pourront se retrouver un jour prochain dans la grande ville de Nochet, en toute tranquillité. Après un dernier salut et une ultime bénédiction, les Esroliens s'enfoncent dans les bois vers le sud et disparaissent rapidement sous les frondaisons.

Le moment est venu pour les héros de se lancer dans une dernière quête. Il leur faut gagner le Dôme Céleste et rechercher les portes des Enfers Lunaires. Tous sont unis par leur soif de vengeance contre les lunaires qui ont capturé l'âme du Roi-Dieu et ont volé le grimoire sacré de Saint Bernard, et contre Jar Eel, l'instrument de cet odieux complot. Afin de renforcer leurs liens et d'obtenir la magie nécessaire pour braver les secrets inconnus qui les attendent dans les étoiles, les héros décident d'invoquer un Wyter pour les guider. La nuit venue, tous se rassemblent pour effectuer une grande cérémonie afin d'éveiller leur esprit gardien.

Les héros allument un grand feu sous les étoiles et se répartissent tout autour. Ils en appellent aux dieux et aux esprits qui les
écoutent dans la nuit au coeur de la forêt tarshite. ``Dieux du Ciel
et de la Terre, esprits intrépides, nous sommes de grands voyageurs et nous avons foulé en maintes contrées la terre des hommes. Nous recherchons maintenant un Guide pour nous mener jusque dans les
étoiles. L'un d'entre vous connaît-il les secrets célestes ? L'un
d'entre vous répondra-t-il à notre appel ?'' L'un après l'autre, les héros s'avancent vers le feu, jusqu'à sentir sa chaleur sur leur visage. Énéric est le premier. Il jette dans les flammes une natte en crin de cheval. ``J'ai voyagé jusqu'au coeur de l'Empire de la Lune et pénétré dans les palais de marbre. J'ai galopé librement dans les grandes plaines de Pent, porté par les vents sauvages.'' Calliope brûle un châle tressé dans le feu crépitant. ``J'ai accompli le tour de la Baie des Miroirs et rencontré les Six Peuples unis par les bras de Kethaa. Je suis montée au sommet des volcans caladrais et descendu au plus profond des eaux de Choralinthor, dans les demeures sous-marines des Ludochs.'' Ambroise s'avance à son tour. Tendant le bras au-dessus des flammes, il s'entaille la paume d'un geste sec. Son sang coule dans le feu qui consume cette offrande. ``Je suis venu depuis la lointaine Seshnéla en affrontant les océans. J'ai traversé la Passe du Dragon et mes pieds ont foulé les Cités des Dragonewts.'' Hybban jette dans le brasier la peau tannée d'un ours. ``J'ai arpenté la grande forêt de la Vallée des Bêtes, ultime vestige de l'Âge Vert. J'ai rencontré le peuple loup et ils sont devenus mes frères.'' C'est au tour de Fédarkos de s'approcher. Il dépose dans les flammes un carré de voile argentée du Bateau-Lune. ``J'ai navigué sur toute la Baie des Miroirs depuis les eaux de Karse la Belle. La soif de savoir m'a porté à travers les mers jusqu'à la lointaine Teshnos et ses sages visionnaires.'' Aldharyk est le dernier. Il verse quelques gouttes d'Eau Céleste qui crépitent en tombant sur les braises. ``J'ai parcouru les collines ventées d'Héort et de Sartar. J'ai navigué sur Engizi, le grand Fleuve du Ciel, qui m'a fait cadeau de son eau.''

Les étoiles du Dôme Céleste scintillent au travers de la fumée qui s'élève. Les héros ont l'impression d'être observés. L'attention des dieux s'est éveillée. Bientôt il leur semble apercevoir les contours d'un visage qui se dessine dans les volutes de fumée. Ses yeux sombres se tournent vers eux et une voix retentit à leurs oreilles. ``Qui m'appelle ? Qui recherche les secrets des étoiles ? Qui s'apprête à naviguer sur les océans célestes ? Je suis Dormal l'Explorateur, celui qui découvre de nouveaux mondes. Je peux vous guider et vous montrer le chemin. Je vous apprendrai à marcher dans les cieux. Je vous protégerai contre les esprits et les daïmones qui règnent sur les contrées célestes. Est-ce cela que vous souhaitez ?'' Chacun dans leur coeur, les héros reconnaissent une part d'eux-mêmes dans le dieu qui leur apparaît. Tous acceptent sa bénédiction et le reçoivent comme Wyter. Le visage s'estompe. Les flammes s'éteignent les unes après les autres mais ils sentent une présence qui marche désormais au milieu d'eux.

Au matin, Énéric s'éloigne dans la forêt avec sa troupe de Pentiens. Avant de se lancer à l'assaut des étoiles, il a décidé de souder également les liens entre les cavaliers. Il leur faut un Wyter pour les guider vers le pillage et la gloire. Lorsque le soleil est au plus haut dans le ciel, les Pentiens sont bien loin du petit campement des autres héros. Ils ont rejoint la plaine et quitté le couvert des arbres. Buvant à sa gourde de feu, Énéric embrase un arbre solitaire qui s'enflamme avec un bruit de tonnerre. À ses côtés, les lents chants gutturaux de ses compagnons éveillent l'attention des dieux. Un esprit répond à l'appel des cavaliers. C'est un grand guerrier juché sur un fier
étalon blanc. Énéric le reconnaît aussitôt. C'est Joraz Kyree, le
guerrier maîtrisant les secrets du feu. Les Pentiens sont honorés d'avoir été choisis par un esprit si illustre. Pour l'honorer, ils décident de lui offrir un sacrifice de sang et de flammes. La horde des barbares déferle en hurlant sur un village voisin. Les habitants tombent sous leurs épées. Le sang se répand sur la terre asséchée. Vomissant un torrent de feu, Énéric enflamme les toits de chaume des maisons. Rapidement, l'incendie se répand et le village n'est plus qu'un brasier ardent. La fumée s'élève dans les airs en se mêlant aux cris de guerre des Pentiens. Les cavaliers ne rejoignent leur compagnons qu'à la tombée de la nuit. Ils portent encore l'odeur du sang et du feu mais refusent de proférer un mot sur l'endroit où ils ont été et sur la cérémonie qu'ils ont accomplie.

Pendant toute cette journée, Calliope a eu le temps de réfléchir à la quête qui les attendait. La localisation exacte des Enfers Lunaires leur est toujours inconnue. Les paroles énigmatiques de Lhankor Mhy[1] parlaient d'un `lieu loin au-delà du monde, un lieu impossible et mauvais qui ne doit pas exister'. Pour y pénétrer, il faut trouver la `Porte Carmine au Milieu du Médian' et passer la `terrible gardienne qui se repaît de souffrances'. Quant à cette dernière, il est clair qu'il s'agit de Yara Aranis, l'araignée surveillant les frontières de l'Empire. Pour atteindre l'entrée des enfers, le Sage Gris a énoncé plusieurs voies. Celles des Sept Mères semblaient dangereuses et ont été écartées. Ils disposent maintenant d'un `navire de roseau' pouvant les porter sur le Fleuve Céleste. Ils ont avec eux la jeune Gisellia Em Eel, étudiante du Collège de Magie qui pourrait `faire acte sacrilège' en ouvrant un Portail vers les cieux. Malgré tout, la philosophe ne s'estime pas prête. Elle sent qu'un
élément leur fait encore défaut et songe à son rendez-vous manqué
avec Selmius et les adorateurs de la Lune Blanche. Lui et son groupe de fanatiques apparaissaient également dans les paroles de Lhankor Mhy. Ne sont-ils pas `ceux qui suivent les visages d'avant et d'après' ? Peut-être pourraient-ils leur révéler d'importants secrets...

Lorsqu'Énéric revient au campement, Calliope va trouver son neveu. Elle envisage de retourner à Bout du Monde. Elle doit parler à Selmius et tenter d'en apprendre plus sur les mystères de la Lune, fût-elle Rouge ou Blanche. La ville est à de nombreuses lieues de la clairière et le Bateau-Lune ne peut bien sûr pas être utilisé. Seul Morigain pourrait la porter rapidement et secrètement. Le cavalier fronce les sourcils. Il n'aime pas l'idée de revenir vers le coeur des forces ennemies. Il finit cependant par céder à l'insistance de sa tante. La vieille femme n'est pas bien lourde et le fier cheval blanc pourra les porter tous les deux. Ils partiront dans la nuit, pour arriver au matin devant les grandes portes de la cité.

C'est ainsi que Calliope et Énéric s'élancent tous deux au plus profond de la nuit, portés par les pas magiques de Morigain. Le grand étalon supporte sans effort la charge supplémentaire. Son pas égal semble se jouer des obstacles. La vieille Esrolienne voit les arbres défiler autour d'eux à une vitesse prodigieuse pendant que le vent de la course souffle dans ses cheveux. Comme le soleil se lève, éclairant les champs noircis qui entourent Bout du Monde, les deux voyageurs arrivent au pied des grands vantaux de la Porte du Barbare. Des paysans et des marchands se pressent à la sortie de la ville, la mine sombre. L'atmosphère de fête qui régnait lors de leur précédente arrivée s'est évaporée à la chaleur des flammes qui ont ravagé les champs. Le cavalier a laissé Morigain loin de la ville, craignant que l'étalon blanc ne soit trop facilement reconnu, et dissimule son visage sous la capuche de sa grande cape.

Calliope n'a pas de mal à retrouver `la maison aux volets roses'. Selmius est affalé sur une table en train de ronfler devant un cruchon vide. La vieille Esrolienne le secoue sans ménagement. En posant les yeux sur celle qui vient le tirer de son sommeil, l'adorateur de la Lune Blanche lui reproche d'une voix pâteuse. ``Vous n'êtes pas venu l'autre jour. Nous vous avons attendus, vous savez.'' Il tente de se redresser en prenant un air indigné mais Énéric le force à se rasseoir en lui posant une main sur l'épaule. Selmius jette un regard inquiet au grand guerrier et se tourne à nouveau vers Calliope. ``Que me voulez-vous ?'' ``Serait-il possible de réunir à nouveau vos amis ? Les malheureux événements du Jour Divin m'ont empêchée d'assister à votre cérémonie mais je suis toujours aussi intéressée par entendre le message de la Lune Blanche.'' Le lunaire lui jette un regard méfiant mais la vieille femme assise devant lui en souriant a l'air complètement inoffensive. Selmius se redresse légèrement sur sa chaise en méditant la demande. ``Eh bien, je ne sais pas. Il faut que je contacte les membres du groupe. Peut-être est-il possible d'organiser une nouvelle réunion pour dans les prochains jours...'' ``Et pour cet après-midi ?'', l'interrompt Calliope. Selmius fait une moue dubitative. ``Je vais voir si c'est possible. Retrouvez-moi ici à l'heure du déjeuner.''

Les deux compagnons ressortent de la maison de passe et s'installent dans une taverne du quartier des marchands pour patienter. Les patrouilles de gardes sont nombreuses en ville. Les lunaires sont sur le qui-vive. Heureusement personne ne semble reconnaître l'impétueux cavalier qui a libéré les chevaux du sacrifice. ``Ils ne doivent pas s'attendre à ce que je me promène en ville.'', murmure Énéric à sa tante. En revenant vers la maison aux volets roses, les deux compagnons trouvent Selmius frétillant d'impatience. Il s'avance vers eux en les saluant. ``Tout est arrangé ! Mes amis vous attendent. Venez, suivez-moi.'' Le petit homme grassouillet les entraîne à travers les rues de Bout du Monde vers les beaux quartiers de la ville. Il arrive devant une petite maison aux murs blancs et aux volets clos. Énéric jette des regards suspicieux aux alentours mais la rue semble déserte. Il se penche vers sa tante et lui chuchote à l'oreille. ``Je vais rester à l'extérieur et faire le guet. Il pourrait s'agir d'un piège.'' Le cavalier se glisse entre deux maisons et disparaît dans l'ombre. Pendant ce temps, Selmius s'est approché de la porte de la maison et frappe quelques coups discrets. Le battant s'entrouvre sur une silhouette qui leur fait signe d'entrer. Calliope et son guide sont les deniers à arriver. Un petit groupe hétéroclite les attend dans le salon décoré de tapis et de rideaux de velours. Selmius fait les présentations. Il y a Berdéros, un riche négociant en bois, Cybélia, une femme de notable aux cheveux prématurément blanchis, Jerdéren, un ex-militaire en retraite dans une ferme de la région, et Oreste, un ex-percepteur des impôts touché par la grâce.

La pièce est plongée dans une semi-obscurité. Seuls quelques raies de lumière filtrent au travers des volets clos. Tout le monde s'assoit autour d'une petite table de chêne. Un disque de cuir blanc est posé au centre. Selmius allume un grand encensoir et une lourde fragrance se répand dans la pièce. La fumée dégagée brille au travers des minces rayons de lumière. Les participants commencent à psalmodier des chants péloriens d'une voix lente et grave. Cybélia sort un fin couteau au manche d'ivoire et s'entaille la paume de la main. Elle laisse perler son sang sur le grand disque de cuir puis passe la lame à son voisin. Le couteau fait le tour de la table et chacun verse ainsi quelques gouttes de son sang. Lorsque vient le tour de Calliope, la vieille femme suit l'exemple des autres participants. Pendant quelque temps, rien ne se passe. Tous restent à psalmodier devant le disque blanc pendant que l'atmosphère de la pièce s'épaissit sous la fumée de l'encens. Berdéros est le premier à être touché par la grâce. Brusquement, il s'exclame avec exaltation. ``Je vois le disque s'éclairer ! Voyez la Lune Blanche !'' Les uns après les autres, ses compagnons s'exclament à sa suite qu'ils aperçoivent le halo lunaire. Calliope plisse les yeux dans la fumée. Le disque blanc semble en effet rayonner de sa propre lumière. Les gouttes de sang versées sur le disque glissent à la surface du cuir et dessinent un paysage fantasmagorique. Des formes rouges et noires évoquent des rochers déchiquetés éclairés par une lumière blafarde : la lune. Le disque est partagé par une mince ligne. D'un côté, le paysage est baigné de rouge, de l'autre, il est plongé dans le noir. À la frontière entre les deux faces, au médian du milieu, une grande porte se dessine. Ses piliers sont gravés de femmes à têtes d'araignées. Plusieurs des participants poussent un cri de surprise. ``Qu'est-ce que cela ?'' Calliope, elle, ne doute pas un seul instant qu'elle contemple la Porte Carmine. Brusquement, Oreste se lève en renversant sa chaise. Il bondit vers la porte avant qu'aucun de ses compagnons n'ait pu faire un geste et se précipite au dehors. La transe est rompue. Lorsque Calliope baisse à nouveau les yeux vers le rond de cuir, ce n'est plus qu'un disque blanc couvert de sang.

Les adorateurs de la Lune Blanche se lèvent, encore un peu hébétés. Plusieurs d'entre eux jettent des regards étonnés vers la porte laissée ouverte par Oreste. Aucun n'a le temps de se ressaisir. Des pas cadencés se font entendre dans la rue. Une patrouille lunaire approche au pas de course. C'est alors qu'Énéric fait irruption dans la petite pièce enfumée. Il attrape Calliope par le bras. ``Partons !'', s'exclame-t-il. Sans attendre la réaction de sa tante et n'accordant aucune importance aux adorateurs de la Lune Blanche, il tire la vieille femme vers la fenêtre. D'un coup de pied, il fait sauter les volets et jette un coup d'oeil prudent à l'extérieur. La fenêtre donne sur une petite arrière-cour. Les soldats n'y ont pas encore pénétré. Le cavalier bondit souplement à l'extérieur, puis aide la philosophe à se glisser dehors. Dans la pièce qu'ils ont quittée, les adorateurs perplexes discutent et s'agitent, sans arriver à prendre une décision. ``Avec un peu de chance'', déclare Énéric, ``les soldats se contenteront d'arrêter ces doux rêveurs sans se préoccuper de nous''. Se retournant vers la maison, il laisse échapper une exclamation. Une étrange brume blanche luminescente est en train de sortir du bâtiment, par les fenêtres, le toit, les portes, et se répand dans la rue. Des voix et des appels résonnent, curieusement
étouffés et déformés. La Lune Blanche protégerait-elle les siens ?
Sans chercher à comprendre, les deux compagnons s'engouffrent dans une ruelle et détalent en courant. Pendant qu'ils se fondent dans la foule des rues plus passantes, Énéric grommelle à l'attention de sa tante : ``J'ai vu un homme sortir à toute allure et se précipiter vers une patrouille qui passait pour les attirer ici. Il semblerait que votre petit groupe de gentils adorateurs ait été infiltré par les services secrets impériaux, ma tante.'' Calliope ne répond pas, la tête encore emplie de la vision d'une plaine rouge et noire, surplombée d'une porte impossible. Pressant le pas et changeant souvent de direction, les deux compagnons finissent par arriver à l'une des portes de la ville et sortent dans la nuit tombante. Un peu plus loin, Morigain apparaît dans la lumière du soleil couchant.

Pendant cette journée, Ambroise Taxol discute longuement avec les membres de son ordre. Les occidentaux se mettent rapidement d'accord : ils n'ont maintenant nulle part où aller et décident de suivre le sorcier et de participer à sa croisade. Par Dieu ! Il convient de châtier ceux qui ont ainsi dérobé le livre sacré de l'ordre de Saint Bernard !

Ils conviennent d'un commun accord d'aller rechercher la sagesse infinie de leur fondateur. Nul doute qu'un être si proche de Dieu saura les guider. N'est-on pas aujourd'hui justement l'un des jours sacrés de Bernard, alors qu'il y a 769 ans, il a redonné vue à un soldat blessé, prouvant à tous sa sainte nature ? Les apprentis tracent donc un vaste et complexe pentacle. Ils allument des bougies aux croisements des lignes, pendant que leurs aînées le complètent des figures sacrées de l'alphabet logique de Danmalastan, la Terre de Dieu. Se réunissant tous en cercle, les sorciers et leurs aides entonnent des cantiques à la gloire de la Raison Suprême, du Prophète Malkion, de Rokar le Père de l'Église et de Saint Bernard. Guidés par leur foi et leurs voix, leurs esprits trouvent le chemin sacré menant au Plan des Saints, qui existe dans le coeur de tout homme.

Leur vision s'altère. Le monde devient plus réel, plus parfait. Chacun n'est plus que son âme, nue devant l'Oeil de Dieu. Du pentacle partent des lignes de pure lumière qui sont autant de chemins logiques que l'esprit bien formé peut suivre pour acquérir la sagesse. De grands murs s'élèvent à l'infini autour d'eux. Des voix qui ne sont pas humaines résonnent dans le lointain. Ils sont dans le Noeud Magiste de Saint Bernard, sur le chemin vers Dieu. Là, se trouvent les sortilèges du Grand Chirurgien.

Cependant, quelque chose n'est pas normal. Alors qu'il n'y a d'habitude que huit ouvertures dans la cathédrale céleste, représentant les Huit Visions de Saint Bernard, un neuvième chemin s'ouvre maintenant. Le coeur d'Ambroise se serre. Il sait ce que cela veut dire : quelqu'un a utilisé le Livre de Saint Bernard pour relier son Noeud à un autre. Il ne voit qu'un seul groupe de gens assez puissants et assez présomptueux pour oser perpétrer une telle profanation des Saintes Écritures. Plissant les yeux et se remémorant toutes ses connaissances de sorcellerie, le chirurgien parvient à voir vers quelle voie mène le neuvième chemin : non pas la découpe du corps, mais la découpe de l'âme. Quelle perversion du Saint Enseignement !

La Neuvième Porte commence alors à s'ouvrir et une lueur carmin de mauvais aloi se déverse dans la cathédrale céleste. Des cliquètements se font entendre et les sorciers voient avec horreur des silhouettes arachnoïdes se découper dans la lumière. ``Les gardiennes des Enfers Lunaires !'', hurle Ambroise. Les horribles monstres à corps d'araignée et à tête de femme glissent doucement vers les Malkionis. La concentration des sorciers est brisée. L'un des apprentis s'évanouit même devant l'horreur de créatures féminines piétinant le sol sacré du Noeud.

Le sortilège se rompt et les chirurgiens se retrouvent tous de nouveau dans la clairière du Plan des Mortels sous le soleil couchant. Ambroise psalmodie rapidement les formules de fermeture de portail, aidé par ses collègues. Il aperçoit encore les formes maintenant transparentes des créatures démoniaques qui tentent de franchir la barrière entre les mondes ; mais les sorciers ont été assez rapides. Aucun monstre ne pénètre dans la clairière. Alertés par les cris, Aldharyk, Hybban, Fédarkos et quelques guerriers arrivent en courant, l'épée dégainée, mais ne trouvent que quelques sorciers abasourdis.

Le visage sombre, Ambroise se tourne vers les autres Malkionis, ignorant les questions des barbares. ``Frères ! Voyez comme l'heure est grave. En vérité je vous le dis, pas même les Cieux Parfaits eux-mêmes ne sont à l'abri des machinations des perfides lunaires. Ils se sont emparés du Livre Saint, nous en avons la preuve irréfutable ! Je jure devant Dieu que je ne m'arrêterai plus tant que je n'aurai pas apporté la justice divine à ces impies ! Alors, me suivrez-vous dans ma croisade et dans ma quête ?'' D'une même voix, les chirurgiens acclament ces paroles courageuses et offrent de le suivre jusqu'au plus profond des Enfers s'il le faut.

Aldharyk, Hybban et Fédarkos se regardent sans comprendre, puis Haussent les épaules. Tout le monde sait que les Meldeks sont fous.

[1] Voir Chapitre 15 : Kero Fin, message n°8897 : http://fr.groups.yahoo.com/group/Glorantha_VF/message/8897

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