[Campagne]Ch.26: L'étoile rouge

Auteur: philippe_sigaud <sigaud_at_...>
Date: Thu, 01 Jan 2004 13:27:17 -0000


Rappel :
Présentation de la campagne :
http://fr.groups.yahoo.com/group/Glorantha_VF/message/8329 Chapitre précédent :
http://fr.groups.yahoo.com/group/Glorantha_VF/message/9205

Calliope et Énéric ne rejoignent leurs compagnons que tard dans la nuit. Au matin, une grande concertation a lieu pour établir un moyen de se rendre sur la Lune. Interrogée sur le sujet, Gisellia Em Eel explique qu'elle n'est malheureusement pas capable d'ouvrir un portail vers l'astre rouge. Pénétrer dans le ciel est extrêmement difficile et la lune fait partie des endroits les plus délicats à atteindre. Il y a toutefois une solution qui permettrait d'accéder au domaine des étoiles. Dans le ciel, la grosse étoile rouge en train de chuter continue sa course vers Glorantha. Elle s'est rapprochée du monde des hommes tout en n'ayant pas encore complètement quitté celui des cieux. L'atteindre devrait être plus facile qu'en temps normal et, depuis l'étoile, de nouveaux horizons s'ouvriront peut-être à eux.

L'étudiante lunaire a occupé ces quelques jours à étudier ce corps céleste. D'après ses connaissances des chartes stellaires, cette
étoile appartient à Darastus, le demi-dieu de la Souffrance, un
ancien héros lunaire qui servait Danfive Xaron. Gisellia a effectué de nombreuses divinations magiques et a déterminé l'instant propice pour ouvrir un portail vers ce monde. L'ouverture ne sera active que le temps de quelques battements de coeur. Il faudra que tout le monde se tienne prêt à la franchir car elle se refermera très vite.

Les héros font donc leurs derniers préparatifs et rassemblent leurs affaires. Lorsqu'Elmal sanglant chute derrière les arbres et que les premières étoiles se mettent à scintiller sur la voûte céleste, tout le monde se rassemble autour de Gisellia. Les Pentiens sont à cheval. Leurs montures frémissent d'impatience en sentant l'excitation des cavaliers. Ambroise et les sorciers de son ordre ont également enfourché leurs chevaux. Ceux qui ne possèdent pas de monture ont embarqué sur le Ménénékos. Le Bateau-Lune flotte doucement à quelques pas au-dessus du sol. Les marins sont à leur poste, prêts à orienter les voiles sur l'ordre de leur capitaine. Yar Andaros se tient fièrement à la barre, l'oeil en alerte.

Gisellia a tracé un grand cercle sur le sol de la clairière. Les frontières du disque sont ornées de runes étranges, orientées selon les grands astres du dôme céleste. Elle se place au centre du dessin et lève les bras vers les étoiles en déclamant des incantations. Bientôt, une lumière rouge miroitante apparaît devant elle, semblant flotter dans la nuit à quelques pas du sol. Cette zone chatoyante s'élargit de plus en plus. Elle s'étend devant eux dans la clairière, au fil des paroles magiques de la lunaire. Elle a la taille d'un homme, puis d'un arbre, puis du Bateau-Lune tout entier. La voix de Gisellia s'amplifie une dernière fois et s'interrompt brusquement. Le rideau rouge frémissant cesse de s'étendre. D'une voix ferme et assurée, la lunaire lâche un unique mot de commande. Une ligne dorée apparaît au bord de la zone miroitante, courant sur son pourtour et dessinant une vaste porte. Brusquement, le rideau chatoyant disparaît. Dans l'immense portail de feu apparaît non plus la clairière mais un paysage désolé. C'est une terre rouge et poussiéreuse, parsemée de rochers acérés. Ça et là, d'étranges arbustes rouge sombre jaillissent du sol. Un vent puissant s'engouffre dans la porte en rugissant. Le sol défile à toute allure devant devant les yeux héros. ``Vite ! Dépêchez-vous de franchir le Portail !'', hurle Gisellia pour couvrir le vacarme.

Énéric donne des talons dans le flanc de Morigain. L'étalon blanc bondit souplement à travers l'ouverture. Pendant un instant, le cavalier ressent une terrible sensation de vertige. Le paysage bascule sous ses yeux. Il a l'impression de chuter dans un vide infini pendant le temps d'un battement de coeur. La secousse des sabots de Morigain frappant le sol dur le ramène à la réalité. Le cavalier regarde autour de lui. Il est sur un autre monde. Une vallée aux flancs déchiquetés s'ouvre devant lui. Le paysage est baigné d'une lumière rougeoyante. Énéric se retourne sur sa selle et aperçoit l'envers de la Porte. La ligne dorée encadre le paysage de la clairière qui lui paraît maintenant irréel et lointain. Les Pentiens l'ont suivi sans hésitation. Ses hommes se regroupent autour de lui, jetant des regards incertains aux alentours.

Au moment où Énéric se jette à travers la Porte suivi par les cavaliers, le capitaine darjiinien lance également ses ordres. Les voiles du Bateau-Lune s'illuminent des rayons carmin de la lune et le navire s'engouffre à leur suite par l'ouverture. Les sorciers, un instant interdits, se ressaisissent et bondissent de même au travers du portail. Déjà, les contours de la porte sont moins nets. La ligne dorée qui la délimite tressaille et se rétracte. Ambroise est le dernier à lancer sa monture. Il se penche en passant près de Gisellia et l'attrape par le bras. L'élan de son cheval lui permet de la hisser devant lui et ensemble ils bondissent à travers le passage qui se referme.

Les héros se retrouvent ainsi sur l'étoile rouge. Derrière eux, le portail a maintenant disparu, emportant avec lui le dernier lien qui les rattache au Monde Médian. L'atmosphère de l'étoile est oppressante, baignée dans une lueur sanglante. La poussière rouge s'envole sous les sabots des chevaux. L'horizon semble étrangement proche. Loin au fond de la vallée, une masse sombre est visible dans les airs. Elle flotte à plus d'une lieue au-dessus de la surface et est retenue au sol par trois immenses chaînes de bronze. En se rapprochant, les héros se rendent compte de la taille titanesque des maillons qui les forment. Chacun est aussi épais qu'un boeuf. Sur les ordres du capitaine, le Bateau-Lune prend de l'altitude. La forme noire qui est attachée à l'extrémité des chaînes est elle-aussi un navire. Ses voiles sont repliées mais son équipage est sur le pont. En voyant la forme élancée de la coque et les deux grands mâts, Fédarkos pousse un cri de surprise. ``Par ma barbe ! Je reconnaîtrais ce navire entre tous ! Compagnons, ceci est le vaisseau de Dormal, celui qui a rouvert les mers.'' Tous contemplent avec stupeur ce navire de légende. Quel vent funeste l'a conduit sur cette étoile de souffrance pour y être enchaîné ? Tous sentent la présence du Wyter qui les accompagne. La voix océane du Grand Navigateur parvient à leurs oreilles, portée par une brise marine. ``Libérez mon navire. Libérez mes hommes. Ils vous porteront sur des flots inexplorés.''

En s'approchant du navire, les héros aperçoivent un nuage de poussière qui s'avance à leur rencontre. Dans la vallée, les cavaliers galopent à la suite du Bateau-Lune. Eux aussi font voler le sable rouge sous leurs sabots. Brusquement le canyon déchiqueté débouche sur une vaste plaine irrégulière. Les chaînes de bronze sont ancrées dans trois énormes piliers de granit. La poussière soulevée devant les compagnons retombe doucement, révélant une vaste silhouette haute comme une colline et trapue comme un ours. C'est un géant aux mains noueuses et au visage rouge et couturé. La créature contemple de ses yeux noirs les petits chevaux qui galopent vers lui. Sa voix de tonnerre retentit comme un cri inhumain, chargé de colère et de haine. ``Qui approche ? Qui ose fouler la terre de mon étoile ? Je me nomme Darastus et je suis le maître de ces rochers. Vous allez payer le prix de votre témérité et périr dans la douleur pour votre présomption !''

Le géant s'avance vers les cavaliers. Chacun de ses pas ébranle la terre et soulève dans l'air un grand nuage de sable rouge. Son oeil noir se darde sur le Bateau-Lune qui flotte dans les airs au-dessus de la troupe. Ses mains immenses se dressent dans le ciel et tentent de fracasser le navire. Sur le pont du bateau, le capitaine Yar Andaros hurle des ordres et l'équipage se précipite sur les cordages. Le navire évite de justesse la paume qui s'abat en sifflant. Le souffle de son passage fait rouler le Bateau-Lune sur le flanc ; des filins claquent sous la bourrasque violente et fouettent le pont. Quelques marins manquent de passer par dessus bord. Tentant le tout pour le tout, le capitaine et son bateau foncent droit vers le visage du demi-dieu. Darastus pousse un cri de rage en voyant sa proie qui le nargue ainsi. Il tente d'attraper à pleines mains la coque du navire, mais une fois de plus le Bateau-Lune lui échappe en virant de bord au dernier moment. La fière proue guerrière de la goélette darde droit vers l'oeil du monstre. Le géant plonge pour l'éviter. Devant le Ménénékos, la voie est brusquement dégagée. Aldharyk pointe son
épée Sentence vers le bateau enchaîné. ``Allons libérer nos frères !
Brisons ces chaînes de bronze ! Les marins de Dormal pourront ensuite se battre à nos côtés.''

Darastus tente de se retourner pour empêcher sa proie de s'enfuir mais il pousse un cri de douleur. Énéric, dressé sur ses étriers, vient de planter son épée dans le mollet du demi-dieu. Darastus titube et tombe, un genou en terre. Plusieurs cavaliers sont renversés et manquent d'être écrasés. Des lances et des flèches volent dans les airs. Elles se plantent dans la chair du géant comme autant de petits dards. Abattant ses mains sur la plaine, Darastus tente d'écraser les cavaliers qui galopent en tous sens. Les Pentiens sont bien trop rapides pour ses gestes lourds. La poussière rouge vole sous ses coups désordonnés. Les lances et les épées mordent la peau du géant, ne faisant qu'attiser sa douleur et sa frustration.

Pendant ce temps, le Ménénékos a accosté le navire enchaîné. Les marins du bord ont regardé approcher le navire aux voiles argentées avec un air inquiet. Ils croient certainement avoir affaire à des adorateurs de la lune. Aldharyk et Fédarkos sont les premiers à bondir sur le pont. En face, les marins se rapprochent, l'air menaçant. Le thane ne se laisse pas démonter. Il brandit Sentence audessus  de sa tête et s'adresse d'une voix forte à l'équipage rassemblé. ``Je suis Aldharyk, du clan Karethi, Porteur de Loi. Je suis la Mort Qui Marche et la Tempête d'Orlanth. Nous sommes venus vous libérer et rompre ces chaînes qui vous retiennent, pour que le navire du Grand Dormal puisse de nouveau voguer sur les flots célestes !'' Il bondit alors sur le bastingage. Sous ses pieds, un
énorme maillon de bronze est accroché à une plaque de métal vissée
sur la coque. Aldharyk lève son épée et l'abat de toutes ses forces en hurlant. ``Orlanth le Libérateur ! Montre ta puissance. Brise une fois de plus les chaînes de l'esclavage.'' Un éclair éblouissant et le fracas du tonnerre accompagnent ses mots. Sentence s'abat sur le bronze maudit et le maillon se brise en deux. Un grand souffle balaye le pont. Les voiles claquent dans le vent. La lourde chaîne s'abat lentement vers la terre.

Sous les acclamations des marins, Aldharyk bondit vers les autres points d'ancrage. Sentence s'abat à nouveau et les entraves sont rompues par la magie du vent rebelle et la toute puissance d'Orlanth. La dernière chaîne se sépare du navire. Le bateau de Dormal bondit dans les vents. L'équipage largue les voiles sous les cris de joie et les chants de victoire. Tourbillonnant dans les bourrasques furieuses, la dernière chaîne est arrachée au sol. Le pilier de granit qui la retenait se brise. L'immense lien de bronze s'envole porté par la tempête. Il se sépare de l'étoile et chute vers Glorantha qui brille comme un joyau précieux dans le ciel. Une nouvelle fois, Aldharyk lève les mains et implore son dieu. ``Maître des Tempêtes ! Montre ta colère contre les ennemis des vents libres. Frappe-les des chaînes mêmes avec lesquelles ils nous ont enchaînés !'' L'équipage des deux navires contemple avec stupéfaction la chaîne mortelle emportée par les souffles de l'orage. Elle disparaît bientôt à leur vue comme elle pénètre dans le Monde Médian.

Pendant ce temps, Énéric, Hybban et Ambroise sont aux prises avec Darastus. Le combat est inégal. D'une enjambée, le demi-dieu rattrape le plus rapide des chevaux. D'un revers de la main, il envoie au sol le plus agile des cavaliers. Sous ses pieds, il écrase hommes et bêtes. Les coups des guerriers ne font qu'aviver sa haine. Voyant ses compagnons en mauvaise posture, Calliope se penche depuis le Bateau-  et apostrophe le géant. ``Darastus ! Pourquoi te bats-tu ? Pourquoi refuses-tu ta destinée ? La Souffrance est ta nature, Darastus ! Nous t'apportons la douleur et le tourment. Ne lutte pas contre nous mais embrasse le présent que nous t'apportons. Ne sens-tu pas les lames qui mordent ta chair ? Les lances qui font couler ton sang ? Elles sont nos offrandes à ta gloire !'' Interloqué, le demidieu  lève la tête vers la philosophe. Il plisse ses yeux noirs en contemplant la vieille femme qui lui rappelle ainsi sa destinée. Profitant de cet instant d'inattention, les guerriers se regroupent pour un nouvel assaut. La voix puissante de Darastus s'adresse à Calliope. ``Il est vrai que je suis Souffrance, vieille femme ! Souffrance m'attend lorsque je me briserai sur votre sol. Souffrance j'apporte en ravageant vos terres.'' Menés par Énéric, les cavaliers chargent vers le demi-dieu. Leurs lances pénètrent profondément dans ses chairs. Leurs épées font couler son sang. Darastus tombe à genoux. Il pousse un cri où se mêlent douleur et béatitude. Encouragés par la faiblesse de leur ennemi, les guerriers redoublent d'ardeur. Dans une dernière charge, Énéric empale le géant. Son épée s'enfonce dans le ventre du demi-dieu. Le sang rouge qui jaillit de la blessure se fond dans le sable de la même teinte. Alors que les cavaliers s'apprêtent à délivrer le coup de grâce, la terre se met à trembler. Le sol se soulève et une immense fissure s'ouvre sous Darastus. Les combattants n'ont que le temps de bondir avec leurs montures pour ne pas être happé par le vide qui s'ouvre sous leurs sabots. Dans un grand rire tonitruant, Darastus bascule dans la faille. Ses dernières paroles s'élèvent du gouffre au moment où il disparaît dans les entrailles de la terre. ``Périr est mon destin. Vous êtes sages et bons de me l'avoir donné. Aussi vous fais-je un dernier présent : je vous donne l'oubli et la mort à vous aussi !''

Tout autour des héros, la terre se met à trembler de plus belle. Des crevasses s'ouvrent dans le sol. Des fissures se dessinent sous les sabots des chevaux. Un grondement sourd monte du fond des abîmes. Les montures hennissent d'affolement. L'étoile commence à se désagréger.

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