La foule se disperse peu à peu tandis que les héros s'éloignent en discutant à mi-voix. Dans deux jours les prisonniers seront jetés dans les griffes des animaux du cirque ou forcés de s'entretuer pour l'amusement du public. Il reste peu de temps pour agir.
Aldharyk propose d'aller reconnaître les lieux du côté du cirque. Sous l'apparence d'un noble lunaire à la curiosité malsaine, il demande à visiter les cages et les prisons. Les gardiens du cirque empochent son argent sans se poser de questions et lui font faire le tour des curiosités. Il est conduit dans les sous-sols où sont entassés les bêtes et les esclaves. Dans les caves, les murs de pierre polie cèdent la place à des souterrains rocheux suintants d'humidité. Il y règne une odeur écoeurante, mélange de maladie, de pourriture, de fauve, de sueur et d'urine. Les cachots forment un entrelacs de couloirs étroits, bordés de cages, éclairés par des torches de résine qui dégagent une fumée noire en se consumant. Les animaux sont misérables, entassés dans cette semi-obscurité. Le pelage de certaines bêtes tombe par plaques. Les fauves regardent passer les humains d'un oeil vide et résigné. Seuls les plus récemment arrivés se ruent sur les barreaux en grondant au passage des geôliers.
L'air est difficilement respirable. Tout à son personnage, Aldharyk agite un mouchoir parfumé devant son nez. Il laisse échapper quelques exclamations de surprise et de ravissement en contemplant les cages des lions, des loups et des ours. Dans une prison séparée, aux solides barreaux de bronze, la manticore darde sa queue noire. Le monstre semble guetter son heure et les gardes font un détour pour ne pas passer près de ses barreaux.
Comme Aldharyk insiste pour voir également les prisonniers humains, les gardes secouent la tête devant les goûts dépravés de ce noble lunaire. Dans l'espoir d'obtenir une rétribution supplémentaire, les hommes lancent quelques plaisanteries macabres. Pris à son propre piège, le thane se retrouve à rire jaune des remarques douteuses des geôliers. Les Orlanthis sont entassés dans des cages insalubres et lui jettent à peine un regard. Aldharyk n'aperçoit nulle part la vieille Esrolienne initiée ni la fille de Calliope. Les gardiens finissent cependant par s'impatienter et il doit remonter à l'air libre. Il les quitte en leur glissant encore quelques pièces pour les remercier de leur peine.
Pendant ce temps, Calliope et Fédarkos se sont rendus au campement
d'Énéric pour l'avertir de la présence de Lyndia et Jorgen au
milieu des prisonniers du cirque. Le cavalier promet bien
évidemment toute son aide pour venir au secours de sa cousine. Les
deux érudits décident ensuite de continuer la route jusqu'au
lunoport pour observer d'un peu plus près les Bateaux-Lune et
leurs défenses. Il leur apparaît en effet qu'un tel navire serait
un moyen idéal pour emmener vite et loin des prisonniers évadés.
De plus, peut-être que ces vaisseaux magiques seraient capables de
naviguer sur le Fleuve Céleste et de les conduire ensuite
jusqu'aux Enfers Lunaires. Les paroles de Lhankor Mhy semblaient
indiquer qu'un tel passage existait dans les cieux.
Trois Bateaux-Lune sont amarrés au lunoport. Ils flottent légèrement à quelques coudées au-dessus du sol. L'oeil marin de Fédarkos reconnaît là deux gros boutres à la coque ventrue et une goélette racée. Cette dernière est plus petite, fine, élégante et sûrement bien plus rapide et maniable que ses deux voisins. Ce n'est pas un navire de transport et elle a manifestement été affrétée dans un but spécial. Son nom se détache en lettres d'or sur sa coque de roseaux argentés. Il s'agit du Ménénékos. Ses voiles tissées d'argent luisent d'une lumière rouge sous les rayons de la lune. Le navire semble prêt à appareiller. Il tire doucement sur les cordages qui le retiennent, comme impatient de s'envoler dans les airs. En observant cette mince silhouette, Calliope a l'étrange impression de l'avoir déjà vue. Fouillant dans sa mémoire, elle se souvient alors du Bateau-Lune qui emporta l'âme du Pharaon lors des cérémonies du Temps Sacré. Peut-être est-ce le même navire...
Pendant que la vieille philosophe contemple le vaisseau d'un air pensif, Fédarkos fait le tour du lunoport. Il tente d'évaluer les défenses et d'estimer le nombre de gardes. Une bonne vingtaine de soldats semblent veiller actuellement sur les précieux Bateaux-Lune. Afin de connaître les roulements et les heures de relève, Fédarkos demande à Plume-Noire, son compagnon Durulz, de monter discrètement la garde près des palissades. L'Humakti acquiesce d'un hochement de tête et se glisse derrière un buisson. Les deux savants reviennent ensuite tranquillement vers la cité.
Le soir, après avoir été prendre des nouvelles de ses compagnons à
leur auberge, Ambroise rentre à la maison de son ordre. Il marche d'un
pas rapide, préoccupé par les nouvelles alarmantes qu'ils lui ont
communiquées. Les rues sont assez tranquilles. Le petit monastère est
éloigné des quartiers commerçants. Les deux étages de pierre hébergent
les quelques sorciers de l'ordre avec leurs apprentis, leurs gardes et
le petit personnel. En approchant de la grande porte, Ambroise se rend
compte que tout est extrêmement silencieux. La rue est vide. Une
légère brume flotte en l'air, contribuant à rendre l'endroit un peu
irréel. Aucun bruit ne monte des fenêtres, alors qu'à cette heure les
membres de l'ordre devraient s'apprêter pour le souper. Mettant son
inquiétude sur le compte de la nervosité après une journée éprouvante,
Ambroise resserre sa cape, fait un signe de tête à Jabbert et monte
résolument les marches du perron.
Étonnamment, la porte d'entrée est entrebâillée. Félicien, le
jeune homme à tout faire de la maison, lui a pourtant paru très
pointilleux sur les consignes. Un silence de mort règne à
l'intérieur de la bâtisse, comme si tout le monde s'était endormi.
Fronçant les sourcils, Ambroise pousse la porte du pied tout en
posant la main sur la garde de son épée. Le battant s'écarte avec
un léger grincement. Derrière le sorcier, Jabbert grommelle
quelques jurons et lance sa cape par dessus son épaule pour
dégager le pommeau de son arme. Le couloir d'entrée est plongé
dans le noir. Ambroise s'immobilise sur le seuil, attendant que
ses yeux s'habituent à l'obscurité. Il aperçoit à quelques pas la
lanterne du couloir, renversée à terre. Une étrange odeur flotte
en l'air, une odeur que le sorcier n'a jamais sentie auparavant.
Elle est âcre et piquante, et brûle la gorge. Au fond du couloir,
Ambroise distingue une flaque sombre inquiétante. Jabbert lui pose
une main sur l'épaule et lui murmure à l'oreille ``Seigneur,
écartez-vous, vous formez une belle cible à contre-jour. Tout cela
ne me dit rien qui vaille. Laissez-moi rentrer le premier.''
Ambroise acquiesce et fait signe à Duromal de rester derrière lui.
L'apprenti ne se fait pas prier.
Avançant doucement l'épée au clair et les sens en alerte, Jabbert arrive au fond du couloir. Il s'accroupit prestement et plonge un doigt dans la flaque sombre, qu'il porte à ses narines. Du sang. Ambroise s'est avancé derrière le guerrier. Sur les murs, il aperçoit des traînées d'un immonde liquide poisseux, d'une couleur de pus. Touchant cette substance répugnante avec précaution, il se rend compte qu'elle est terriblement collante. Jabbert attend impassible que le chirurgien ait terminé ses expériences, puis repart doucement. Le seul bruit vient des dents du pauvre Duromal qui s'entrechoquent.
Le guerrier jette un coup d'oeil dans une première pièce. Un corps gît au sol. C'est celui de Félicien. Tous les sens en éveil, les trois compagnons approchent de la forme immobile. Ambroise s'agenouille silencieusement auprès du jeune homme et tâte son pouls. Il est juste assommé. Une énorme ecchymose lui couvre une partie du front mais il n'a pas d'os brisé et sa respiration est régulière. Le chirurgien le bénit rapidement d'une petite prière. Il pourrait le ranimer avec sa sorcellerie mais préfère continuer son exploration silencieuse avant de risquer une incantation.
Laissant Duromal auprès de Félicien, Ambroise et Jabbert repartent
en silence vers le centre de la maison de l'Ordre où se trouve un
atrium ouvert, dans le style tarshite. La petite cour pavée est
légèrement éclairée par la lumière rasante du soleil couchant. Au
centre, une fontaine de marbre dispense un filet d'eau claire.
Dans le bassin circulaire qui l'entoure, deux corps flottent sur
le ventre. Jabbert se précipite vers eux avant que le sorcier ne
puisse le retenir. Sans prévenir, d'horribles petites silhouettes
noires bondissent du plafond et des colonnes. Le guerrier
disparaît sous trois de ces créatures qui lui tombent sur le dos.
Ces dernières évoquent de gros crabes sans pince. Leur carapace
sombre leur permet de se fondre dans les ombres, à l'affût d'une
proie insouciante. Ambroise lève les yeux par réflexe et parvient
à éviter celle qui lui saute dessus. Le sorcier fait tournoyer son
épée pour tenir le monstre à distance. En même temps, il jette un
regard vers la fontaine, inquiet pour son garde du corps. Du coin
de l'oeil, il ne fait qu'apercevoir des formes sombres qui
s'agitent. Des bruits de lutte indiquent cependant que Jabbert ne
se laisse pas faire.
La créature qui fait face à Ambroise commence à lui tourner
autour. Ses pattes de crabe cliquètent sur les dalles de l'atrium.
Avec un frisson de dégoût, le sorcier s'aperçoit que des dizaines
de petites bouches avides s'ouvrent sur le pourtour de la
carapace. Soudain, le monstre se contracte, comme pour bondir.
Ambroise s'apprête à l'esquiver mais le crabe lui crache au visage
une giclée d'une immonde substance collante. Toute la tête du
chirurgien est recouverte de ce mucus glaireux. Aveuglé et
étouffé, Ambroise titube. Il ne peut respirer au travers de la
membrane collante qui l'enserre. Alors que la tête commence à lui
tourner, il entend avec horreur de nombreuses petites pattes
avancer vers lui en cliquetant.
Dehors, Énéric approche à grands pas de la maison du l'ordre du
sorcier. Il vient avertir son compagnon de la présence suspecte du
mendiant. Le cavalier a préféré attendre que la nuit se fasse pour
circuler en ville, car il craint toujours que des agents de Jar
Eel ne le repèrent. En approchant de l'entrée, il est aussitôt sur
ses gardes. L'air porte l'odeur âcre caractéristique du pratzim,
ce mucus collant que crachent les Krarshticules. Durant ses années
de service auprès de la grande héroïne lunaire, Énéric a eu
l'occasion de combattre le culte de Krarsht. Il saurait
reconnaître l'odeur des agents de la Bouche Affamée en toutes
circonstances. Sans hésiter un seul instant, il dégaine sa grande
épée et bondit dans le couloir obscur en poussant un ululement de
guerre pentien. Un Krarshticule embusqué saute du plafond. Mal lui
en prend. D'un souple mouvement du bras, le guerrier l'empale sur
sa lame. Sans arrêter son geste, il propulse dans le fond du
couloir la créature encore agitée de soubresauts. Le crabe glisse
sur le carrelage. Son passage déclenche l'attaque de deux autres
monstres, qui sautent par réflexe sur la carcasse de leur
semblable. Énéric les élimine à leur tour, avec la même facilité.
Apercevant une porte entrouverte, il se jette dans la pièce avec
un roulé-boulé. Il se redresse à l'intérieur et s'immobilise,
l'épée levée. Il n'y a que deux hommes allongés. L'un d'eux est
manifestement l'apprenti du sorcier. Énéric se penche vers lui,
mais Duromal a simplement l'air évanoui. Aux aguets, le guerrier
tourne doucement sur lui-même en quête d'un nouvel ennemi. À cet
instant, des bruits de combat s'élèvent du centre de la maison. Le
cavalier n'hésite pas un seul instant et s'élance en courant dans
cette direction.
Dans le couloir, un homme vêtu de noir jaillit pour lui barrer la route. Le Pentien ne ralentit même pas. Son épée plonge dans ventre de l'ennemi. D'un coup d'épaule, il écarte de son chemin le corps qui s'affaisse. Énéric émerge au pas de course dans l'atrium. Ambroise est au sol. Un Krarshticule s'avance vers lui en actionnant ses multiples bouches. D'un bond, le guerrier est sur le monstre. Il l'envoie voler au loin d'un grand coup de botte. Soudain, un bruit mat et sourd retentit derrière lui. Énéric pivote, l'épée en avant. À quelques pas de lui, un deuxième homme s'écroule au sol en laissant échapper son arbalète. Le plat de bronze qui l'a assommé tombe au sol avec un claquement de métal. Du centre de l'atrium, Jabbert agite une main poisseuse, faisant à Énéric un geste qui signifie `à charge de revanche'. Ce dernier le remercie d'un sec hochement de tête. Il s'accroupit près du sorcier et fend le pratzim qui lui recouvre le visage. Ambroise peut enfin reprendre sa respiration en un grand souffle sifflant.
Écartant du pied les carcasses des trois Krarshticules qui lui avaient bondi dessus, Jabbert rejoint Énéric en clopinant. Dos à dos, les yeux fouillant la semi-obscurité, les deux guerrier attendent que le sorcier reprenne son souffle. Dans l'atrium, plus rien ne bouge. Le reste de la maisonnée est toujours aussi silencieux. Après une brève discussion, les compagnons décident qu'Ambroise va revenir vers Duromal et se barricader dans la pièce avec Félicien. Les deux guerriers poursuivront seuls leur exploration de la maison. Ils ramènent donc Ambroise dans la première pièce, et traînent également l'arbalétrier assommé. Il s'agira de l'interroger plus tard. Ils repartent ensuite en se couvrant l'un l'autre. Plusieurs minutes tendues passent à explorer des pièces désertées, sans rencontrer âme qui vive. Ils arrivent enfin à une porte fermée, derrière laquelle retentissent des murmures affolés. Après quelques échanges, ils comprennent qu'il s'agit des autres sorciers et des gardes survivants qui se sont barricadés pour échapper aux créatures. C'est alors qu'un grand cri retentit, venant de la pièce de l'entrée.
Pendant ce temps, resté seul avec les trois corps inanimés, Ambroise est sur le qui-vive. Appuyé contre le mur, il fixe intensément la porte d'entrée, à l'affût d'un mouvement dans les ténèbres. Hélas, le danger ne vient pas de cette direction. Avec une célérité étonnante, Félicien se redresse brusquement et lui bondit dessus ! Ambroise laisse échapper un hurlement de surprise et se débat un instant contre la poigne d'acier du jeune homme. Avec force, ce dernier projette le sorcier contre le mur. La tête du chirurgien vient heurter la pierre violemment et il sombre dans l'inconscience. Au cri de son maître, Duromal reprend conscience et relève la tête en gémissant. Il aperçoit Félicien qui charge Ambroise sur ses épaules et sort de la pièce en jubilant. ``Ah, enfin je te retrouve, Ambroise ! Cette fois, tu ne m'échapperas plus, et je te ferais souffrir, foi d'Augustus !''
Au cri d'Ambroise, les deux guerriers ont bondi d'un même élan. Énéric et Jabbert débouchent à pleine vitesse dans le couloir d'entrée au moment où un Duromal titubant émerge de la pièce. Le Pentien percute l'apprenti de plein fouet et tous deux s'écroulent dans un grand fracas. Jabbert bondit par dessus leurs corps entremêlés et se lance derrière la silhouette de Félicien qui vient de franchir le seuil d'entrée.
Quand le guerrier émerge à son tour dans la rue, le jeune homme a
déjà traversé la rue. Penché sous son fardeau, il se précipite
vers l'entrée d'une ruelle. Poussant un rugissement de rage,
Jabbert saute les marches et franchit la rue à la poursuite du
ravisseur. Il est sur lui en quelques enjambées. Avant même que
Félicien ait pu réagir, il le transperce de sa lame, sans se poser
de questions. Le jeune homme roule à terre dans un râle d'agonie,
tandis qu'Ambroise tombe dans le caniveau. Jabbert s'agenouille
près de son maître et le ranime de quelques gifles. Le sorcier
reprend ses esprits. Il va bien et n'est blessé que dans son
amour-propre. Alors que le guerrier tend une main à son maître
pour le relever, une voix impérieuse retentit à l'entrée de la rue
et les somme de ne pas bouger. C'est un capitaine lunaire à la
tête d'une patrouille de gardes. Les hommes s'avancent vers eux,
lances en avant. Félicien tourne légèrement la tête et un rictus
crispé naît sur ses lèvres. Dans un dernier souffle, il laisse
échapper un ricanement insensé. ``Elle me ramènera encore, ah !''
Puis son corps se raidit et la vie le quitte. C'est alors
qu'Ambroise remarque un éclat d'argent dans le poing ensanglanté
du jeune homme. Félicien étreint un pendentif en forme de sabre.
Les yeux du capitaine se posent au même moment sur le bijou et il
recule d'un pas. ``Le sabre d'argent ! Saisissez-vous de ces
hommes !'', hurle-t-il.
Après sa rencontre percutante avec Duromal, Énéric s'est remis sur ses pieds en titubant légèrement. Il émerge de la maison au moment où la patrouille lunaire encercle ses compagnons. Les dernière paroles de Félicien sont pour lui un mystère mais il comprend immédiatement la référence au sabre d'argent : la marque de Jar Eel ! S'il n'agit pas très vite, ses deux compagnons vont se retrouver au fond d'un noir cachot. ``Arrêtez !'', crie-t-il d'un ton autoritaire. Fronçant les sourcils, sûr de lui, Énéric avance alors droit vers les gardes qui le regardent indécis. Il se plante devant le capitaine et l'apostrophe en Pélorien. ``Ces hommes sont mes prisonniers ! Je suis au service de la Quatrième Inspiration du Fils de la Lune. Voyez et croyez !'' Il sort alors de sous sa tunique la copie conforme du pendentif qui pend encore de la main crispée de Félicien. Le sabre argenté luit sous la lumière de la Lune Rouge. Le capitaine se raidit à sa vue et salue Énéric, reconnaissant son autorité supérieure. D'un ton sec, le Pentien ordonne aux gardes de ligoter Jabbert et Ambroise puis d'aller dans la première pièce et de ramener les deux hommes qui s'y trouvent. Pendant que les soldats s'exécutent, il se penche sur Félicien et récupère le pendentif en argent dans sa main rigidifiée par la mort.
Les gardes lunaires ressortent quelques temps plus tard avec un Duromal terrifié et l'arbalétrier toujours inconscient. Énéric se tourne vers le capitaine et le toise d'un air froid. Il lui ordonne de former un cordon autour de la maison et de maintenir à résidence tous les occupants encore en vie. Le lunaire hésite un instant mais acquiesce finalement et relaye les ordres. Les mains d'Ambroise, de Jabbert et de Duromal sont attachées par une longue corde. D'un ton méprisant, Énéric demande à ses compagnons de porter les corps de Félicien et de l'arbalétrier. Il assène ensuite au capitaine qu'il n'a besoin de personne pour contrôler ses prisonniers et que d'autres ordres lui seront transmis ultérieurement. Il s'éloigne ainsi avec ses compagnons dans la nuit en leur criant dessus.
Énéric attend d'avoir mis plusieurs rues entre eux et la
patrouille avant de détacher les cordes. Tous ensemble, ils
prennent le chemin de la sortie de la ville et rejoignent les
cavaliers pentiens. Énéric fait aussitôt lever le camp. Il sait
que sa supercherie ne tiendra que quelques heures au plus. La
petite troupe s'éloigne silencieusement dans la nuit. Ils
remontent leur camp à bonne distance, à l'abri des regards
indiscrets, derrière une rangée de collines. Épuisé par toutes ces
émotions, Ambroise s'endort aussitôt.
Au matin, il est réveillé par des hurlements de douleur. Les Pentiens ont accroché l'arbalétrier krarshti à un arbre et sont en train de l'interroger à leur façon. Énéric observe la scène d'un air sombre. Après un instant d'hésitation, la colère de la Noire Croisade submerge Ambroise. Il n'a aucune pitié pour cet assassin qui a essayé de le tuer et qui s'est allié à son pire ennemi. L'homme peut sûrement leur révéler de précieuses informations. Le chirurgien s'approche à son tour en enfilant lentement son Gant d'Incision. En voyant l'étincelle noire qui brille dans les yeux du sorcier, le Krarshti pâlit et se débat. Ambroise observe le prisonnier un instant sans rien dire puis lui offre le choix entre une mort propre et rapide ou de longues heures d'agonie. Il lui suffira de répondre à quelques questions de manière satisfaisante. Affaibli et démoralisé, l'arbalétrier accepte de révéler ce qu'il sait.
Énéric et Ambroise apprennent ainsi que l'âme de Félicien a été
dévorée il y a quelques jours par Augustus, le terrible agent de
Jar Eel. Le Thanatari occupait le corps du jeune homme, guettant
l'arrivée d'Ambroise au monastère pour lui tendre un piège et le
capturer. Les Krarshtis devaient surveiller la maison de l'ordre
et l'aider à mettre son plan à exécution. Les deux compagnons
échangent un regard stupéfait. Augustus, l'ennemi acharné
d'Ambroise, est donc un agent de Jar Eel ? Mais, comment a-t-il
échappé à la mort durant l'étrange rêve-quête d'Ambroise, malgré
la poudre grise de Délecti ? Énéric tire alors de ses habits le
petit pendentif en argent trouvé sur Félicien. Le sabre ressemble
en tout point à celui que porte le cavalier, trouvé dans la
chambre de Mélina. Excepté que sur la mince lame du bijou
d'Augustus, une phrase est finement ciselée : `Je te tiens dans
mon poing de fer, car je t'ai arraché aux Enfers'. Une rune vient
clore cette phrase sybilline. C'est celle de la grande héroïne
lunaire.
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